Quels coûts directs pour la France au cas où la Grèce quitterait la zone euro ? Eric Dor, Directeur de la recherche à l’IESEG School of Management (LEM CNRS) apporte une réponse détaillée à cette question…
Synthèse
Une décision de la Grèce de quitter unilatéralement la zone euro aurait des conséquences dont l’ampleur totale est difficile à évaluer en raison des interactions complexes entre tous les acteurs économiques concernés. On peut toutefois déjà mesurer, dans un premier temps, les coûts directs auxquels la France serait exposée, sous un scénario assez réaliste où le retour à une nouvelle monnaie nationale s’accompagnerait d’un défaut de l’état grec sur ses dettes libellées en euros.
Pertes potentielles de l’état français, y compris banque centrale
Les pertes totales pour l’état français pourraient donc s’élever jusqu’à 66,4 milliards d’euros. Bien entendu un défaut se traduit rarement par une perte totale pour les créanciers. La perte pourrait n’être qu’une fraction de cette borne supérieure, mais s’élèverait vraisemblablement à quelques dizaines de millards d’€ de toutes manière.
Il faut remarquer que ces pertes potentielles seraient encore bien supérieures pour l’Allemagne.
On peut calculer également que sous l’hypothèse réaliste d’une dévaluation de la nouvelle monnaie nationale grecque de 50%, les banques françaises subiraient une perte de 19,8 milliards d’€.
Pour chacun des éléments énumérés dans le tableau, les sections suivantes expliquent pour quelles raisons il y a des risques de pertes pour la France.
La dette TARGET2 de la Banque de Grèce
La dette TARGET2 de la Banque de Grèce à l’égard de l’Eurosystème s’élevait à 104 milliards d’€ au 31 mars 2012. Les fuites de capitaux ayant vraisemblablement accéléré depuis lors en raison des incertitudes politiques, cette dette doit probablement avoir encore augmenté depuis lors. En cas de sortie de la Grèce de la zone euro, la banque de Grèce resterait endettée de ce montant envers la BCE. Cette dette resterait libellée en euro, sans pouvoir légalement la convertir en nouvelles drachmes au taux d’échange initial. En cas de défaut total ou partiel de la Banque de Grèce sur cette dette, la BCE subirait une perte. On sait que les pertes de la BCE sont ensuite imputées aux Banques Centrales Nationales qui en sont actionnaires (article 33.2 des statuts de la BCE et du SEBC). Les pertes de la BCE sur la créance TARGET2 seraient donc à charge des Banques Centrales Nationales des pays restés dans la zone euro. Les pertes de la BCE sont normalement imputées aux banques centrales nationales de l’Eurosystème en les déduisant de la part du revenu monétaire qui leur revient. Mais le revenu monétaire ne suffirait certainement pas, et les Banques Centrales Nationales devraient également recapitaliser la BCE, à nouveau en proportion de leur poids dans le capital initial. Les pertes subies par les Banques Centrales Nationales seraient alors reportées sur les états européens concernés, sous la forme d’une diminution du revenu qu’elles leur versent et l’obligation de les recapitaliser. Quoi qu’il en soit, la charge maximale pour la Banque de France, et donc pour l’Etat français, s’élèverait à 22,7 milliards d’€.
Il faut remarquer que, même sans que la Grèce quitte la zone euro, la France est déjà exposée au risque des prêts de l’Eurosystème à la Grèce, en cas de défaut des banques grecques et de valeur insuffisante des actifs déposés en garantie (collatéral). Actuellement la Banque de Grèce détient 79 milliards d’€ de créances sur les banques grecques, dans le cadre des opérations de refinancement de l’Eurosystème (opérations principales de refinancement, opérations de refinancement à long terme, et la facilité marginale de prêt). Le risque sur ces créances est mutualisé avec les autres Banques Centrales Nationales de l’Eurosystème (voir en particulier l’article 32.4 des statuts de la BCE et du SEBC). En raison de sa part dans le capital de la BCE, la Banque de France est donc déjà exposée à un risque de 16 milliards d’€. Bien entendu, dans le cas où la Grèce quitterait la zone euro, il n’y aurait plus mutualisation du risque avec les autres Banques centrales nationales de la zone euro. Tous les prêts de la Banque de Grèce aux banques grecques seraient convertis en nouvelle drachme et elle en porterait l’entièreté du risque.
La Banque de Grèce détient également quelques dizaines de milliards d’€ d’autres créances sur les banques grecques, suite à d’autres types de financements qu’elles leur a accordés, essentiellement les ELA (« Emergency Liquidity Assistance »). Le risque sur ce type de prêt n’est pas mutualisé avec les autres Banques Centrales Nationales de l’Eurosystème, mais est entièrement porté par la Banque de Grèce, et donc indirectement par l’état grec.
Les obligations souveraines grecques détenues par l’Eurosystème
Les Banques Centrales Nationales de l’Eurosystème ont déjà acheté des obligations souveraines d’états européens pour à peu près d’€ dans le cadre du « Security Market Programme » de la BCE. On estime que, dans ce total, il y aurait 45 milliards d’obligations souveraines grecques. Ces obligations n’ont pas été concernées par la restructuration de la dette souveraine grecque détenue par les investisseurs privés au début de 2012. Au bilan de l’Eurosystème, ces obligations sont incluses dans la catégorie des actifs détenus pour des raisons de politique monétaire. Quelle que soit la répartition des achats des différentes obligations entre les Banques Centrales Nationales, le risque est donc vraisemblablement mutualisé également. En cas de retour à une nouvelle drachme, qui dévaluerait fortement par rapport à l’euro, la Grèce aurait beaucoup de difficultés à assurer le service de ses obligations en euros. Et, légalement, elle ne pourrait les convertir unilatéralement en nouvelles drachmes. Il y aurait donc une forte probabilité de défaut de la Grèce sur ses obligations souveraines détenues par l’Eurosystème. En raison de sa part dans le capital de la BCE, la Banque de France est exposée pour 9,8 milliards d’€.
Les prêts bilatéraux de la France à la Grèce
Dans le cadre du premier plan de soutien de la Grèce, établi en 2010, la France participe à la « Greek Loan Facility » qui prévoyait des pertes bilatéraux des états européens à la Grèce pour un total de 80 milliards d’euros, et des prêts du FMI pour un total de 30 milliards d’€. Sur les 80 milliards d’€ du plan, les états européens ont déjà prêté un total de 52,9 milliards d’€ en plusieurs tranches (le reste a été reporté sur le nouveau plan de soutien à la Grèce et doit dorénavant être prêté directement par le FESF). La part des prêts accordés par la France s’est élevée à 11,4 milliards d’€. L’état français a dû emprunter ces sommes, et augmenter sa propre dette, pour les prêter à la Grèce. Ces prêts ne peuvent pas être convertis unilatéralement par la Grèce en nouvelles drachmes au taux d’échange initial. Toutefois, en raison de la très forte dévaluation attendue de la nouvelle drachme par rapport à l’€, le poids de cette dette en euros sera difficile à soutenir pour la Grèce. Le risque de défaut sur cette dette est très grand.
Les garanties aux emprunts du FESF dont le produit a été prêté à la Grèce
Dans le cadre de la participation du FESF à la restructuration de la dette détenue par le secteur privé
Dans le cadre du « Private Sector Involvement », c’est-à-dire une restructuration de la dette souveraine grecque détenue par le secteur privé, les anciennes obligations grecques ont été échangées contre un ensemble de nouveaux titres, dont des obligations émises par le FESF, pour une valeur nominale correspondant à 15% du principal des anciens titres. C’est le « PSI LM Facility Agreement ». Le FESF a donc émis des obligations qui ont été données aux investisseurs privés ayant participé à l’échange de titres. En contrepartie le FESF a acquis une créance correspondante sur la Grèce, pour 29,7 milliards d’€. En cas de défaut de la Grèce sur ce prêt du FESF, l’argent nécessaire au remboursement des obligations émises par le FESF seraient assuré par les états de la zone euro qui garantissent ses dettes. La part de la France dans ces garanties est de 6,484 milliards d’€.
En application du « ECB Credit Enhancement Facility Agreement » le FESF a prêté à la Grèce 35 milliards d’€ pour racheter des obligations souveraines qu’elle a émises et qui avaient été déposées par des banques en collatéral auprès de Banques centrales Nationales de l’Eurosystème dans le cadre des opérations de refinancement. Cette action a paru nécessaire parce que, suite à la restructuration de la dette sous forme d’échange, la Grèce serait placée en défaut sélectif par les agences de notation, ce qui compromettrait l’éligibilité des obligations souveraines du pays pour être offertes en collatéral aux opérations de refinancement de l’Eurosystème. Il a été convenu que ces achats soient réalisés par le biais de la BCE qui agirait comme agent de la Grèce. Pour pouvoir prêter cet argent à la Grèce, le FESF a du d’abord l’emprunter lui-même, avec la garantie des Etats de la zone euro. La part de la France dans ces garanties est de 7,64 milliards d’€.
Les intérêts courus jusqu’au 24 février 2012 sur les anciennes obligations souveraines grecques apportées à l’échange, ont été payés aux détenteurs privés sous la forme d’obligations émises par le FESF, en application du « Bond Interest Facility ». Le FESF a donc émis des obligations d’une valeur totale de 4,8 milliards d’€ pour les donner aux investisseurs privés concernés, et a acquis en contrepartie une créance sur la Grèce. En cas de défaut de la Grèce sur cette dette envers le FESF l’argent nécessaire au remboursement des obligations émises par le FESF seraient assuré par les états de la zone euro qui garantissent ses dettes. La part de la France dans ces garanties est de 1,05 milliards d’€.
Au total la part de la France dans les garanties des dettes du FESF contractées dans le cadre de la restructuration de la dette grecque s’élève à 15,174 milliards d’€.
Dans le cadre du deuxième programme de soutien
Le FESF a déjà prêté 38,4 milliards d’€ à la Grèce dans le cadre du deuxième programme de soutien. Une partie de ces fonds, 25 milliards, doivent permettre à l’Etat grec de recapitaliser les banques. Les prêts déjà octroyés ont été accordés en quelques tranches, les 19 mars, 10 avril, 19 avril et 10 mai 2012. Le FESF octroie ces prêts avec de l’argent qu’il emprunte lui-même avec la garantie des Etats de la zone euro, à l’exception de ceux qui sont déjà sous programme. La part de la France dans les garanties qui correspondent à ces prêts à la Grèce s’élève à 8,383 milliards d’€. Ce serait la perte maximale de la France en cas de défaut de la Grèce sur ces prêts, après avoir quitté l’euro. Ces prêts ne peuvent en effet pas être convertis unilatéralement en nouvelle drachme au taux d’échange initial, et resteraient donc libellés en euro qui s’apprécierait fortement par rapport à la nouvelle monnaie nationale. Un défaut de la Grèce sur ses dettes en euros serait difficile à éviter.
Les risques globaux pour les banques françaises
Les estimations préliminaires de la Banque des Règlements Internationaux du 25 avril 2012 indiquent qu’en décembre 2011, les banques françaises étaient exposées par leur prêts à des emprunteurs directs grecs pour 39,458 milliards d’€. Les banques allemandes étaient exposées pour 32,977 milliards d’€. Sur une base « ultimate risk », les banques françaises étaient exposées par des créances sur la Grèce à hauteur de 44,353 milliards d’€, dont 6,502 milliards d’€ sur l’état, 0.223 milliards d’€ sur les banques et 37,628 milliards d’€ sur les autres secteurs. et les banques allemandes pour 13,355 milliards d’€. Depuis décembre la restructuration de la dette grecque a diminué la valeur nette actualisée des obligations souveraines grecques détenues par des banques françaises à 1,8 milliards d’€. Les banques françaises seraient donc exposées à la Grèce pour 39,651milliards d’€. En supposant une dévaluation de 50% de la nouvelle monnaie nationale, la perte pour les banques françaises serait de 19,8255 milliards d’€.
Exemple : La filiale Emporiki de la banque Crédit Agricole
Le Crédit Agricole est exposé à hauteur de 5,2 milliards d’€ à sa filiale grecque Emporiki : 0,6 milliards en capital et 4,6 milliards en refinancement net. A supposer que la Grèce quitte l’Union Monétaire pour retourner à une nouvelle drachme, et que celle-ci dévalue de 50% par rapport à l’euro, les pertes nettes pour le Crédit Agricole seraient de 2,6 milliards d’euros.
Eric Dor , Mai 2012
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