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Une approche fractale des marchés, de Benoit Mandelbrot

Dans un livre sans concession, Benoît Mandelbrot, polytechnicien français, dénonce les incohérences de la théorie financière orthodoxe et présente sa vision fractale des marchés.

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Si l’indépendance est une vertu, Benoît Mandelbrot en est certainement l’une des représentations les plus palpables dans le paysage scientifique contemporain, tellement il aura pourfendu, dans toutes les disciplines qui ont jalonné son parcours, l’attitude de ses pairs.

Fort de près d’un demi-siècle de recherches dans les domaines les plus variés, des sciences physiques à l’informatique, de la physiologie à la finance, ce polytechnicien français (qui est aussi docteur en mathématiques) âgé de 82 ans, aura été tout au long de sa carrière l’un des plus principaux dissidents de la bien-pensance dans les milieux financiers. Comme en témoigne son dernier essai, Une approche fractale des marchés : Risquer, Perdre et Gagner, qui se pose, incontestablement, en véritable réquisitoire contre la théorie financière orthodoxe.

L’essai, subdivisé en trois principales parties, commence par un état des lieux des marchés financiers contemporains ; l’auteur s’employant à revenir sur la manière dont les idées ont évolué depuis le siècle dernier, de Louis Bachelier à Black & Scholes. Mandelbrot repasse ainsi en revue, étape par étape, les différentes méthodes qui ont permis au fil du temps, d’appréhender de manière efficiente les marchés boursiers et de mieux se prémunir contre les risques qui y étaient inhérents. Il revient en profondeur sur tout « l’édifice de la finance moderne » : les théories de Bachelier, l’analyse fondamentale, le CAPM de William Sharpe, la théorie moderne du portefeuille d’Harry Markovitz, le modèle de Black, Scholes & Merton. Tout est passé en revue. Mais, il ne s’arrête pas à l’histoire des idées. Il en fait aussi le procès à charge. Expliquant ainsi, puis démontrant, pourquoi à peu près tous les outils classiques qui s’utilisent actuellement dans l’industrie de la finance ne fonctionnent pas, tout en dénonçant le confinement du débat sur la modélisation des marchés financiers à « quelques cercles très restreints de mathématiciens s’intéressant à l’économie, ou d’économistes aux penchants mathématiques. »

En effet, pour Mandelbrot, les marchés étant bien « plus sauvages et effrayants » que la théorie ne le laisserait supposer, tout l’édifice de la finance est « bâti sur du sable ». Ou, mieux encore, les hypothèses sous-tendant l’utilisation des outils financiers standards sont, lorsqu’on les considère séparément, tout simplement « absurdes » : les variations des cours ne sont pas pratiquement continues mais effectuent des sauts de manière triviale et importante, les variations de cours ne sont ni indépendantes ni stationnaires, et elles n’épousent pas non plus les proportions de la célèbre courbe en cloche de la distribution normale. Ou encore, que l’hypothèse d’efficience des marchés est incorrecte : le marché n’est pas toujours un jeu équitable dans lequel les vendeurs équilibrent les acheteurs.

S’il est acquis qu’aujourd’hui, aucun financier ne saurait remettre en cause les réserves contre la théorie financière orthodoxe, on peut néanmoins noter le bon nombre d’outils qui ont commencé à être développés pour palier à ces manquements et se rapprocher, toujours plus, de la réalité des marchés. Ce que Mandelbrot précise d’ailleurs, tout en notant que le travail à faire reste encore considérable et qu’il faut, au plus vite, explorer d’autres concepts. Il ouvre ainsi la voie, dans la deuxième partie de son livre, à ce qui constitue à ses yeux l’une des nouvelles tendances pour mieux comprendre les marchés : l’analyse multi fractale.

La suite du livre est d’un tout autre accabit. On rentre ainsi un autre monde : un monde de beautés, de formes et de turbulences, où des géométries complexes, dont on ne fait pas toujours le lien avec la finance, prennent corps. C’est normal. Il n’est d’abord ici, pas question de marchés et de cours, mais de dessins et de graphiques. Mandelbrot, dans une sorte de condensé de ces différents ouvrages sur la question, présente et initie aux fractales. Les fractales dans les sciences physiques, les fractales en biologie, les fractales dans la société. Puis, les fractales en finance, Mandelbrot explorant ainsi ce qu’il appelle la « voie nouvelle » : le modèle multi fractal. Il explique, présente. Même si on peut reprocher le manque de démonstrations mathématiques pour la présentation d’un modèle dont le grand nombre, professionnels comme curieux, ignorent encore tout ou presque, et dont l’applicabilité n’a encore jamais été avérée. L’auteur aura néanmoins pour principal mérite, de s’engager dans une voie qui semble contourner l’ensemble des présupposés, par trop inexacts, de la théorie standard.

Aux yeux du savant français, ce modèle fractal, à l’inverse des autres modèles financiers, requiert bien peu de données pour fournir beaucoup d’informations : « il part des faits fondamentaux et pérennes du fonctionnement du marché. Il est économique et flexible, et imite le marché ». Mandelbrot conclut son ouvrage en présentant ses « dix hérésies » de la finance, un résumé des idées formulées sur la théorie financière et ses divergences, plus ou moins flagrantes avec la réalité.

Finalement, en lieu et place d’un exposé simple d’une nouvelle théorie pour mieux modéliser les marchés financiers actuels, l’ouvrage de Benoît Mandelbrot est avant tout un livre de vulgarisation scientifique qui permet de mieux les comprendre, tout en restant épuré des formules mathématiques qui font souvent la complexité des précis classiques.

C’est un livre pour tout curieux, féru de finance mathématique, tout en restant digne intérêt pour les professionnels de l’industrie financière à la recherche de nouvelles perspectives. Car, qui sait, peut-être, Mandelbrot y développe-t-il ce qui peut-être considéré comme l’avant-garde de la prochaine industrie financière. Et, même si cela ne s’avèrerait pas être le cas, il pourra au moins avoir le sentiment du devoir accompli : celui d’avoir profondément ouvert le débat sur la modélisation des marchés financiers et son rapport à la réalité.

Yann Olivier , Novembre 2007

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