Too Big To Fail ou Too Small To Survive

Les bail-out étant devenus inconcevables, les mécanismes de bail-in sont devenus, sur le principe, familiers. Il est légitime que l’argent du contribuable ou la création monétaire ne servent pas systématiquement à la resolvabilisation des Etats ou des banques

On se souvient tous du « too big too fail ». Cette célèbre expression dans le monde de la finance signifie que la faillite d’une grande banque déstabiliserait l’ensemble du système financier si bien que les investisseurs sont donc persuadés que cette faillite est impossible. Il y aurait donc toujours des sauvetages en dernier ressort avec de l’argent public ou/et de la création monétaire

Cela pose néanmoins de sérieux problèmes avec un report dans le futur des crises : sauvetages sur fond publics de plus en plus incompatibles avec des finances publiques de plus en plus dégradées et une pression fiscale de plus en plus insupportable. C’est ce que l’on a appelé les bailout.

DES BAIL-OUT AUX BAIL-IN ET LA MISE EN PLACE DE NOUVEAUX MECANISMES DE RESOLUTION DES CRISES BANCAIRES

Le G20, actuellement sous la présidence australienne cherche justement à entériner la fin du bail-out avec le renforcement de la résilience des institutions financières et la remise en cause définitive et irréversible de la logique du « too-big-to-fail »
Les bail-out étant devenus inconcevables, les mécanismes de bail-in sont devenus, en tout cas sur le principe, familiers. Il est, en effet, légitime que l’argent du contribuable ou la création monétaire ne servent pas systématiquement à la resolvabilisation des Etats ou des banques ; mais il faut être conscient des conséquences

  • hausse de la prime de risque sur les dettes publiques qui pourraient désormais faire plus rapidement l’objet de restructurations ; et donc hausse des taux d’intérêt sur les dettes souveraines des pays à endettement public élevé
  • avec également une hausse de la prime de risque sur les actions et les dettes des banques ; et donc (toutes choses étant égales par ailleurs) une hausse des taux d’intérêt sur les crédits.

Les principes du bail-in reposent donc sur le fait que les banques doivent se sauver par elles-mêmes (enfin en réalité en mettant à contribution non plus le citoyen mais celui qui a prêté à la banque avec des ordres de priorité- de seniorité comme l’on dit dans le jargon financier)

- 1. on va d’abord s’attaquer aux fonds propres de base (le core equity Tier 1dans le vocabulaire de la réglementation bancaire) qui seront dépréciés en premier lieu en proportion des pertes et jusqu’au maximum de leur capacité d’absorption. Ici les actionnaires seront directement concernés, ce qui devra tôt ou tard maintenir une prime de risque sur les actions bancaires (même si ce n’est pas ce que l’on voit aujourd’hui sur des marchés qui, aujourd’hui, achètent la sortie de crise des banques)

- 2. Ensuite si les pertes de la banque sont supérieures à ce que peuvent absorber les actionnaires via les fonds propres durs, on va alors faire appel aux détenteurs de dettes subordonnées. Il s’agit des quasi-fonds propres que l’on va appeler dans l’environnement règlementaire Bale 3 des fonds propres additionnels de catégorie 1 (Aditionnel Tier 1) et des fonds propres de catégorie 2 (Tier 2). Ici seront concernés les créanciers obligataires dits « junior » (cela signifie qu’ils commenceront à être touchés par les pertes et défauts lorsque les vrais actionnaires auront déjà été impactés de plein fouet). D’où là aussi une forte prime de risque sur les obligations bancaires (même si là encore ce n’est pas ce que l’on voit lorsque l’on regarde l’évolution des spreads des papiers obligataires bancaires).

- 3. enfin, si la réduction totale des engagements précédents est insuffisante, les autorités devront déprécier les dettes seniors, de maturité supérieure à 1 mois et les dépôts non couverts par le fonds de garanties (c’est-à-dire au-delà des 100 000 €). Les créanciers seront ici concernés si les pertes sont supérieures à ce qu’auront perdu d’abord les actionnaires et ensuite les créanciers de dettes obligataires subordonnées.

Oui mais voilà il est prévu que le bail-in ne permettra d’imposer des pertes jusqu’à 8% du passif des banques (capitaux propres inclus). A partir de là, un fonds de résolution (sur lequel on reviendra compte tenu de la complexité de sa future mise en œuvre) devrait être mis à contribution avec un plafond de 13% (soit 8% +5%) des passifs. Mais si ces contributions ne suffisent pas à sauver un système bancaire national, il faudra solliciter le MES (mécanisme européen de solidarité) parallèlement aux finances publiques du pays (le degré de subordination n’est pas précisé). Eh ! oui le bailout ne sera pas complètement éradiqué notamment si les bail-in ne suffisent pas à éponger les pertes.

LA MISE EN PLACE DE NOUVEAUX MECANISMES DE RESOLUTION DES CRISES BANCAIRES

Parallèlement au débat bail-out / bail-in, d’autres sujets connexes sont évoqués.
Tout d’abord les débats entre la Commission européenne et le régulateur sur les moyens de renforcer la stabilité et la sécurité des banques. Ces débats ont pris des allures d’affrontement ces dernières semaines. La Commission considère qu’elle renforcera la solidité du système bancaire

  • En interdisant les activités spéculatives les plus risquées qui ne serviraient à rien dans l’économie
  • Et en filialisant les activités de marché, lorsque certaines normes de risque sont dépassées durablement, sauf si la banque démontre que ses activités ne posent cependant pas de risques pour la stabilité financière.
le vrai sujet n’est plus aujourd’hui de savoir s’il faut scinder les activités bancaires et remettre en cause le modèle de banque universelle. Mais plutôt de bien comprendre les évolutions des dispositifs de sauvetage des banques
Mory Dore

On ne fera jamais assez remarquer que l’on ne peut pas isoler aussi simplement du reste de la banque « universelle » un certain nombre d’activités de marché utiles aux agents privés : activités de tenue de marché, de compensation, de couverture de certains risques à partir d’instruments dérivés. Comment définir d’ailleurs la frontière entre la couverture et la spéculation ? Par ailleurs, la banque commerciale doit pouvoir utiliser pleinement les marchés financiers : activités de trésorerie pour le refinancement des métiers commerciaux et investissement sur les marchés financiers des excédents de liquidités non employés en crédits commerciaux à la clientèle ; ventes de produits dérivés aux clients de la banque pour que ceux-ci couvrent leurs risques financiers dans des conditions de liquidité correctes

Selon nous, le vrai sujet n’est plus aujourd’hui de savoir s’il faut scinder les activités bancaires et remettre en cause le modèle de banque universelle. Mais plutôt de bien comprendre les évolutions des dispositifs de sauvetage des banques ; ainsi il faut suivre les évolutions institutionnelles pas toujours très clairement présentées. Nous pensons tout particulièrement au futur fonctionnement du MRU et à la constitution du fonds de résolution unique.

Qu’est ce que le MRU (mécanisme de résolution unique) dont vous entendez également parler sous le sigle SRM (single resolution mechanism)

Ce mécanisme vise à transférer du niveau national au niveau européen les compétences de restructuration et, le cas échéant, de liquidation de banques en difficultés.

  • Ainsi, avec ce SRM, la gestion des crises bancaires serait indépendante de la nationalité de la banque concernée et l’on aurait enfin gagné le pari de la décorrélation banques-souverains.
  • Cette rupture du lien des banques vers les états (on ne sait pas encore résoudre – répression financière oblige- le lien des états vers les banques) serait donc facilitée par l’absorption quasi exclusive des pertes par le secteur privé (bad bank, bridge bank, dépréciation d’actifs, bail-in des créanciers,…)
  • Mais encore faut-il une unité européenne sur ce sujet. Or l’on sait, par exemple, que l’Allemagne souhaite conserver la tutelle de son réseau de Sparkassen et de banques coopératives ; on sait aussi que l’Allemagne ne souhaite pas mobiliser ses ressources budgétaires au niveau européen sans l’accord préalable du Bundestag

Et puis, comment financer ce mécanisme de résolution ? Il nous faut aborder le fonds de résolution

Ce fonds devait être constitué sur 10 ans à horizon 2025 et à cette date les ressources financières disponibles devront avoir atteint 0.8% des dépôts garantis de toutes les institutions de crédit de chaque pays pour porter la taille à 55 Mds€. En fait, le parlement européen vient d’obtenir le raccourcissement de 10 à 8 ans de la durée de constitution de ce fonds avec une accélération de la mutualisation quant à sa constitution (40% l’année 1 puis 60% l’année 2 puis70% l’année 3 et le solde linéairement sur 5 ans)

Mais les divergences de mise en œuvre sont profondes

  • Pour l’Espagne, l’Italie et la France, il serait nécessaire de mettre en place un fonds abondé ex-ante par les banques et disposant d’une ligne de crédit du MES pour la phase 2015-2025 afin que celui soit opérationnel dès 2015
  • Pour l’Allemagne, il est hors de question que le financement relais du fonds soit assuré par le MES. Il serait plus judicieux de mettre en place un réseau de fonds nationaux de résolution qui pourraient se prêter mutuellement en cas d’insuffisance de ressources nationales ici ou là.

La solution allemande privilégie donc une décentralisation du financement des mécanismes de résolutions bancaires. Ce qui signifie que la constitution de fonds de résolution nationaux ne pourrait voir le jour que grâce à des ressources budgétaires nationales. On retrouve bien là l’hostilité allemande à toute forme de mutualisation accélérée (ce qui est vrai aujourd’hui des ressources du futur fonds de résolution bancaire européen l’était hier sur les émissions de bonds européens). En tout cas, l’absence de mutualisation optimisée – si les thèses allemandes l’emportent- risque de continuer à maintenir cette corrélation entre le risque bancaire et le risque souverain.

LES FAILLITES BANCAIRES NE SONT PLUS EXCLUES SURTOUT LORSQUE L’ON PENSE QU’ELLES N’AURONT PAS DE CONSEQUENCES SYSTEMIQUES

Plus de tabou donc quant à d’éventuelles faillites bancaires. Sans doute parce-que l’on considère que les évolutions institutionnelles sont suffisamment robustes pour résoudre les crises bancaires et sans doute parce-que l’on pense à des faillites bancaires qui n’auraient pas de conséquences systémiques. Ainsi les faillites bancaires ne sont plus exclues. Mais bon, rassurons-nous, tout cela ne signifie pas qu’il faut laisser tomber et mourir des banques « too big to fail » avec les risques systémiques que cela pourrait générer mais plutôt des banques « too small to survive ».

Passage en revue d’analyses et propos récents qui dédramatisent la faillite bancaire

- 1. Beaucoup d’analystes constatent que l’on a assisté, depuis 18 mois, à des faillites ou restructurations bancaires qui n’ont absolument pas fait trembler – au-delà de réactions épidermiques – le système financier international et ont laissé de marbre les marchés financiers. On se souvient des défauts au premier trimestre 2013 à Chypre et aux Pays-Bas (avec la nationalisation de SNS Real) ; On se souvient également de la restructuration ordonnée des systèmes bancaires espagnol et irlandais au second semestre 2012 suite à l’éclatement des bulles immobilières dans ces deux pays.

- 2. Mario Draghi essaie, quant à lui, de faire régulièrement comprendre aux marchés que pour que les stress tests bancaires de 2014 soient vraiment crédibles, il faudra que certaines banques soient clairement déclarées inaptes.

- 3. Dans le même ordre d’idées, le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijssebloem avait dit souhaiter au forum de Davos en janvier dernier que les stress tests fassent ressortir des « mauvaises nouvelles » pour les banques , ce qui attesterait de la crédibilité de l’exercice

- 4. Danielle Nouy, nouvelle patronne du mécanisme de supervision bancaire européen, alla même plus loin en déclarant en février dernier au Financial Times que "nous devons accepter le fait que certaines banques n’ont pas d’avenir. Nous devons en laisser quelques unes disparaître de manière ordonnée, et pas forcément essayer de les fusionner avec d’autres institutions".

Tous ces propos ont tendance à créer un environnement exagérément optimiste en considérant que des faillites bancaires n’auraient pas de conséquences systémiques. Ceci est vrai si

  • Ces faillites ne concernent pas des établissements financiers jugés systémiques. Pour la réglementation, il existe cinq critères pour définir ce caractère systémique :
    • la taille de bilan au regard du niveau de fonds propres ;
    • l’interconnection (terme savant pour évoquer les engagements interbancaires, plus ceux-ci étant élevés, plus le risque qu’une banque en difficulté mette en danger l’ensemble du système bancaire est élevé) ;
    • l’activité difficilement remplaçable (donc difficilement « cessible ») ;
    • le degré de mondialisation de l’activité mondiale et
    • la complexité des opérations
  • Les mécanismes de résolution bancaire en Europe sont rapidement mis en place et sont surtout dotés de ressources conséquentes (or l’on a vu sur ce sujet que l’on était sans doute très loin du compte)

L’on comprend donc bien que les responsables de la régulation sont courageux mais pas téméraires. En témoigne les difficultés actuelles de la banque autrichienne Hypo Group Alpe Adria (HGAA). Au départ, l’on se dirigeait vers une solution de type bail-in. Les principales banques autrichiennes Erste Bank, Raiffeisen Bank International et Bank Austria refusaient de participer à une "bad bank". Sur ces cinq dernières années, HGAA avait bénéficié de près de 4,5 mds EUR d’aides publiques diverses. Mais ce temps semblait bien révolu et le gouverneur de la banque centrale autrichienne recommandait de placer les actifs toxiques de la banque dans une société à responsabilité limitée mais sans garantie publique : ainsi les quelque 18 Mds€ de créances très douteuses de l’établissement pourraient être transférés dans une structure chargée de les liquider, laquelle structure n’aurait pas pour autant de licence bancaire et ne bénéficierait pas de la garantie illimitée de l’état. Mais voilà, finalement l’Autriche a choisi une solution de type bail-out pour sa grosse banque en faillite. « Il y avait de nombreuses raisons d’envisager sérieusement un défaut, mais au final, les risques ont été jugés incalculables » a expliqué le ministre des finances autrichien, Michael Spindelegger. Certes une bad bank accueillera les 18 Mds$ d’actifs « toxiques » de HGAA, mais les contribuables paieront donc pour que l’établissement survive et n’entraîne pas d’autres banques dans sa chute.

Le passage irrévocable et irréversible des bail-out aux bail-in n’est vraiment pas pour aujourd’hui

Mory Doré , Avril 2014

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