Taux d’intérêt et investissement en actions à faible volatilité : un changement de paradigme

L’équipe d’investissement en actions d’Unigestion a analysé la manière dont les actions à faible volatilité pourraient réagir à une augmentation des taux d’intérêt et quel pourrait en être l’impact sur nos portefeuilles…

Le « tapering » et ses origines

Ces dernières années ayant été caractérisées par une période prolongée de faiblesse historique des taux d’intérêt, l’une des principales préoccupations des investisseurs institutionnels est de savoir comment une hausse des taux pourrait affecter leurs portefeuilles. L’équipe d’investissement en actions d’Unigestion a analysé la manière dont les actions à faible volatilité pourraient réagir à une augmentation des taux d’intérêt et quel pourrait en être l’impact sur nos portefeuilles.

Le 22 mai 2013, Ben Bernanke a déclaré devant le Congrès américain que la Réserve fédérale (« Fed ») pourrait commencer à réduire (« tapering ») la taille de son programme d’achats d’obligations connu sous le nom d’assouplissement quantitatif (QE). Vingt-huit jours plus tard, le 19 juin, la Fed a annoncé que son « tapering » n’interviendrait que plus tard dans l’année et qu’elle mettrait sans doute fin à son programme d’achats d’obligations d’ici la mi-2014. Elle a également précisé que le calendrier du « tapering » serait fonction de l’évolution des indicateurs économiques, notamment du niveau du chômage.

Réaction initiale du marché

Si les premières déclarations de Ben Bernanke n’ont pas entraîné un changement immédiat de la politique de la Fed, elles n’en ont pas moins affolé les marchés et les obligations ont subi une correction brutale fin mai. Les marchés d’actions se sont stabilisés au second semestre 2013, les investisseurs se faisant peu à peu à l’idée d’une réduction de l’assouplissement quantitatif.

Un tournant pour les actions à faible volatilité

Bien que toutes les théories raisonnables de l’investissement suggèrent le contraire, les stratégies visant à minimiser le risque de volatilité n’ont pas été épargnées par la chute des marchés d’actions en mai et juin 2013. En fait, l’indice MSCI AC World Minimum Volatility a reculé davantage que l’indice correspondant pondéré par la capitalisation boursière (voir les graphiques ci-dessous).

Cette performance décevante de l’indice MSCI Minimum Volatility est encore plus prononcée lorsque l’on prolonge l’observation jusqu’à la fin 2013.

L’approche visant à minimiser la volatilité semble avoir échoué à couvrir l’intégralité du spectre des risques et il apparaît notamment que la hausse des taux d’intérêt a eu un impact très sensible sur les actions à faible volatilité en 2013.

Comment expliquer la sous-performance des actions à faible volatilité ?

Un examen attentif des données montre que le comportement décevant des actions à faible volatilité peut s’expliquer par leur forte concentration sectorielle. De fait, ces actions appartiennent pour une grande part à des secteurs non cycliques comme les services aux collectivités et les télécommunications. Sur les neuf derniers mois, ces secteurs ont eux aussi été très sensibles aux hausses des taux d’intérêt.

Secteurs non cycliques : la faible volatilité historique va-t-elle laisser place à un risque plus élevé ?

L’augmentation des taux d’intérêt après le discours de Ben Bernanke a entraîné un changement du profil de risque des secteurs non cycliques que sont les services aux collectivités ou les télécommunications. Il semble en effet que certaines actions auparavant qualifiées de « défensives » ont perdu leur capacité à atténuer les risques du fait de l’évolution de l’environnement de taux d’intérêt.

Pour donner corps à ce phénomène de manière empirique, nous avons établi les deux graphiques suivants : le premier illustre la corrélation sur un mois de plusieurs secteurs non cycliques défensifs, d’un secteur cyclique (l’industrie, aux Etats-Unis) et de l’indice S&P 500 avec le contrat à terme sur le bon du Trésor à 10 ans ; le second représente la corrélation des mêmes secteurs, mais cette fois avec l’indice S&P 500 lui-même.

Au cours des dernières années, les actions non cycliques à haut rendement « similaires à des obligations » ont été plébiscitées par les investisseurs en quête de rendement. Ce phénomène explique aussi la surperformance inhabituellement élevée de certaines de ces valeurs « défensives » entre 2010 et 2012. Dans le même temps, l’évolution du cours de certaines actions non cycliques a commencé à imiter celle des obligations. De fait, la corrélation entre ces actions et les obligations américaines s’est accrue, tandis que leur corrélation avec l’indice des actions a diminué avant même l’annonce de la Fed en mai. En revanche, un secteur comme celui de l’industrie n’a pas connu de changement en termes de corrélation avec les obligations ou les actions.

La sensibilité des actions à faible volatilité aux taux d’intérêt s’accroît

Si la période du 22 mai à la fin 2013 permet d’observer la relation entre les actions à faible volatilité et les taux d’intérêt, notre analyse s’avère plus révélatrice encore sur une plus longue période. Nous avons pour ce faire identifié des périodes de fortes hausses des taux américains à 10 ans entre 1993 et 2013 et les avons agrégées. Ensuite, nous avons calculé les corrélations au niveau des actions et des secteurs sur ces périodes agrégées. Sur la base de ces corrélations, nous avons établi une échelle de 1 à 5. Un score proche de 5 signifie que l’action est très sensible au risque de taux d’intérêt et tendrait à sous-performer en cas de hausse des taux (caractéristique propre à certaine actions « défensives » ou « à faible volatilité »). Un score proche de 1 signifie à l’inverse que l’action est peu sensible au risque de taux d’intérêt et tendrait à bien se comporter si les taux augmentaient (propriété des actions cycliques).

Nous avons procédé de la même façon pour la sensibilité sectorielle.

Ce tableau illustre la sensibilité des secteurs aux hausses des taux d’intérêt dans différentes régions (Etats-Unis, Europe, monde, marchés émergents, Japon). Malgré certaines disparités sectorielles, il montre que des secteurs historiquement défensifs comme la pharmacie et les services aux collectivités sont les plus sensibles au risque d’augmentation des taux d’intérêt.

Actions à faible volatilité et actions à faible corrélation

Pour étudier la question sous un autre jour, nous avons regroupé les actions par déciles en fonction de leur volatilité et de leurs corrélations estimées, puis nous avons procédé de nouveau à l’analyse couvrant les périodes d’augmentation des taux d’intérêt. La relation entre la volatilité/corrélation et la sensibilité aux taux apparaît clairement : les actions à faible volatilité/corrélation sont associées à un risque élevé de taux d’intérêt.

Nous avons classé les portefeuilles des moins volatiles (décile 1) aux plus volatiles (décile 10) et des moins corrélés (décile 1) aux plus corrélés (décile 10) afin d’analyser leurs différentes expositions au risque de taux d’intérêt.

Les graphiques ci-dessus montrent qu’il existe une relation étroite entre les actions à faible volatilité et l’exposition aux taux d’intérêt. Les actions peu volatiles ont tendance à devenir plus risquées lorsque les taux augmentent tandis que les actions cycliques/très volatiles semblent bénéficier d’une hausse des taux.

Pour mieux illustrer ce phénomène, nous avons ventilé par secteur les déciles les plus et les moins volatiles.

Si nous comparons l’allocation sectorielle du décile regroupant les portefeuilles les moins volatiles et celle du décile regroupant les portefeuilles les plus volatiles, la surpondération de la consommation de base ressort nettement, tout comme l’allocation élevée à la santé (sociétés dont le rendement du dividende est important), aux télécommunications (secteur à fort levier financier) et les services aux collectivités (secteur où les infrastructures jouent un rôle clé).

Performance du facteur de risque de taux d’intérêt

Après l’évaluation de l’exposition à la sensibilité des taux d’intérêt, nous avons mesuré la performance historique du facteur de risque de taux d’intérêt.

A cette fin, nous avons bâti un portefeuille long/short fondé sur l’univers d’investissement de l’indice MSCI AC World. Ce portefeuille prend des positions longues sur les actions moins exposées au risque de taux et des positions courtes sur les actions les plus exposées à ce risque. Nous avons ensuite observé la performance mensuelle de cette stratégie.

D’après le graphique ci-dessus, lorsque les bâtons représentent une performance positive, les actions à faible risque de taux surperforment les actions à fort risque de taux. Il est intéressant de noter la très mauvaise performance de ce facteur en juin 2013, après la réunion de mai de la Fed.

Le graphique montre également à quel point la performance d’un portefeuille à faible volatilité peut être décevante dans les périodes où les marchés d’actions sont particulièrement sensibles aux événements macroéconomiques ou relevant de la politique monétaire.

Quelle portée pour la gestion du risque d’un investissement en actions à faible volatilité ?

  • Enseignement de l’analyse : les facteurs de risque ont changé

Analyser l’impact potentiel d’une évolution des taux d’intérêt sur les marchés d’actions présente des difficultés, notamment dans le cas de certaines actions peu volatiles, qui sont les plus sensibles aux politiques des banques centrales et aux cours des bons du Trésor américain. Les facteurs de risque ont considérablement changé sur le marché après les déclarations de la Fed, en mai 2013. Autrement dit, le comportement de certaines actions qualifiées depuis longtemps de défensives est devenu atypique : elles ont dès lors présenté un risque baissier bien supérieur à ce que laissait attendre leur volatilité passée.

  • Autre leçon : les actions à faible volatilité renferment des risques cachés et la diversification ne constitue pas une garantie.

Minimiser la volatilité passée ne suffit pas à bâtir un portefeuille n’encourant qu’un faible risque baissier à l’avenir. La volatilité passée peut masquer d’autres risques qu’une évaluation plus classique des actions ne fait pas apparaître de manière évidente. En outre, notre analyse confirme que la diversification du portefeuille ne garantit pas non plus une réduction du risque.

Nous avons vu qu’une évaluation approfondie du risque structurel de taux d’intérêt d’un portefeuille d’actions est essentielle, notamment pour les portefeuilles bâtis sur la base d’estimations de la volatilité passée.

  • Comment améliorer un portefeuille à faible volatilité

Après avoir élaboré une méthodologie d’analyse de la sensibilité aux taux d’intérêt des secteurs et de certaines actions, nous avons contrôlé et géré l’exposition de nos portefeuilles à ce facteur de risque de deux manières différentes. D’abord, nous avons établi une restriction top-down par rapport à l’exposition de l’indice de référence aux taux d’intérêt. Ensuite, nous avons recouru à l’évaluation qualitative pour limiter l’exposition aux actions dont le modèle d’entreprise semblait étroitement associé et/ou trop sensible à l’évolution de la politique de taux d’intérêt aux Etats-Unis.

Conclusions

Le « tapering » de la Fed pourrait créer un « événement extrême » sans précédent qui verrait les prix de certains actifs, y compris certaines actions à faible volatilité, baisser de manière atypique et imprévisible. Ce scénario pénaliserait tout portefeuille qui ne l’aurait pas anticipé dans sa stratégie d’investissement. Chez Unigestion, la prise en compte de ce nouveau facteur de risque dans notre processus de gestion s’est traduite par une rotation de portefeuille de 15 % et a soutenu la performance de nos portefeuilles au second semestre 2013. Il est, de notre point de vue, impératif de protéger les portefeuilles à faible volatilité contre une augmentation des taux à long terme, à la fois pour les prémunir contre les risques baissiers et pour leur permettre de surperformer.

Fréderic Girod , Tony Guida , Juin 2014

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