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Risque politique : l’Europe retient son souffle jusqu’aux élections

Selon Stewart Robertson, économiste en chef pour l’Europe et Geoffroy Lenoir, Responsable gestion OPC taux souverains zone euro chez Aviva Investors France, les marchés obligataires semblent une nouvelle fois douter de la capacité de la Banque centrale européenne à préserver l’euro à l’approche d’une série d’élections cruciales...

En juillet 2012, au plus fort de la crise de la dette souveraine dans la zone euro, Mario Draghi a tenu ses propos célèbres affirmant que la Banque centrale européenne (BCE) ferait « tout ce qui serait nécessaire » pour préserver l’euro. Cet engagement tombait à point nommé à une époque où les rendements des obligations d’Etat espagnoles et italiennes à 10 ans dépassaient respectivement 7 % et 6 %, soulevant des doutes sur la capacité de ces deux pays de continuer à se financer et à payer les intérêts sur leur dette.

Ces déclarations, associées à l’attitude de plus en plus interventionniste de la banque centrale, ont apporté un stimulant bienvenu aux marchés obligataires de l’union monétaire. En mars 2015, alors que la BCE était depuis peu la dernière grande banque centrale en date à pratiquer un assouplissement quantitatif, ces rendements étaient retombés à 1,2 % et 1,1 % respectivement pour l’Espagne et l’Italie.
Pourtant, deux ans plus tard à peine, la maîtrise des rendements obligataires par la BCE pourrait bien être en train de vaciller. Au cours des neuf derniers mois, les rendements obligataires sont repartis à la hausse, lentement mais sûrement.

Cette évolution tient en grande partie aux fondamentaux économiques de la zone euro, et en particulier à la reprise de l’inflation. Même si cette dernière est plus attribuable au renchérissement des matières premières qu’à l’accélération de la croissance économique, la banque centrale peut se réjouir de voir que les craintes de déflation qui s’installaient peu à peu semblent oubliées, au moins temporairement.

Une menace d’éclatement

L’autre facteur à l’origine de cette montée des rendements est beaucoup moins réjouissant, en revanche, puisqu’il s’agit du risque politique. Une vague de populisme déferle sur l’Europe continentale, dans le sillage des résultats inattendus du référendum au Royaume-Uni et de l’élection présidentielle aux États-Unis l’année dernière, et les marchés s’alarment tout à coup d’un nouveau risque d’éclatement de la zone euro. Alors qu’il y a cinq ans la menace émanait de la Grèce et d’autres pays périphériques, cette fois-ci les investisseurs surveillent de près les développements de certaines des plus grandes économies de la zone, dont la France et l’Italie.

À l’approche des élections décisives cette année, l’aversion au risque est de retour. L’écart (« spread ») entre le rendement des obligations d’État allemandes, considérées comme des « valeurs refuge », et ceux des autres pays d’Europe, s’est considérablement creusé depuis l’été dernier.

Selon Stewart Robertson, économiste en chef pour l’Europe chez Aviva Investors, il est naturel que les marchés soient inquiets, cependant les craintes d’effondrement de l’euro sont excessivement alarmistes. « En réalité, il y a beaucoup plus d’harmonie au sein de la zone euro aujourd’hui qu’il n’y en a eu à d’autres époques par le passé. L’euro ne va certainement pas disparaître dans un avenir immédiat. Et même au-delà, on parle d’un risque très faible », estime Stewart Robertson.

Certes, l’écartement des « spreads » obligataires de ces derniers mois s’explique en partie par des craintes de voir s’envenimer les négociations sur la prochaine tranche de 86 milliards d’euros du programme de sauvetage de la Grèce, ou encore par les préoccupations sur les risques d’aggravation des difficultés du secteur bancaire italien. Toutefois, la cause principale du phénomène est de loin la montée des incertitudes sur l’issue des prochaines élections générales.

Ces inquiétudes persistent malgré le résultat des élections au Pays-Bas le 15 mars, à l’occasion desquelles le Premier ministre, Mark Rutte, a battu le parti d’extrême-droite, Partij voor de Vrijheid (PVV, Parti de la Liberté) mené par Geert Wilders.

Beaucoup d’observateurs ont vu dans le scrutin hollandais un test de la dynamique du mouvement populiste et anti-establishment en Europe, dans la perspective des autres élections attendues plus tard dans l’année dans cette région. Aussi, le soulagement de certains responsables de l’Union européenne (UE) à l’annonce des résultats était palpable. « C’est un vote en faveur de l’Europe, un vote contre les extrémistes », a tweeté un porte-parole du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Toutefois, la satisfaction de M. Juncker n’a pas été partagée par les marchés obligataires, dont les rendements ont grimpé immédiatement après la publication des résultats. Geoffroy Lenoir, Responsable de la gestion OPC taux souverains zone euro au sein d’Aviva Investors France, souligne qu’il n’y avait pas vraiment de raison d’être soulagés, car M. Wilders ne risquait pas de toute façon d’arriver au pouvoir. La plupart des partis parlementaires avaient en effet exclu toute coopération avec lui.

Selon Geoffroy Lenoir, même si l’écart entre les rendements obligataires allemands et hollandais à 10 ans a augmenté à 25 points de base (pb) contre 10 pb à peine il y a un an, il y a peu de chances de voir cette prime de risque se dégonfler.

« Il faudra peut-être plusieurs mois pour former un gouvernement viable. Il est possible que cette incertitude politique n’ait pas encore été totalement intégrée », précise Geoffroy Lenoir.

Si le PVV n’est pas parvenu à faire une percée dans cette élection, cela illustre en partie un contrecoup en Europe après le vote de la sortie de l’UE du Royaume-Uni, et l’élection de Donald Trump, souligne Stewart Robertson. « Finalement, le ‘Brexit’ et l’élection de Donald Trump ont plutôt renforcé la solidarité entre les membres restants de l’UE et de la zone euro », explique-t-il.

En revanche, il pense comme Geoffroy Lenoir qu’il ne serait pas sage de surinterpréter ces résultats électoraux aux Pays-Bas.

Peur sur la France

« La principale inquiétude des marchés obligataires européens a toujours été l’élection en France. Il n’est pas certain qu’il y ait beaucoup de points communs avec le scrutin aux Pays-Bas », selon Geoffroy Lenoir.

Contre toute attente, les favoris de cette campagne sont Marine Le Pen et le candidat centriste Emmanuel Macron, créateur de son propre parti, « En Marche ! ».

Mme Le Pen a fait savoir que si elle était élue, elle organiserait dans les six mois un référendum sur l’adhésion de la France dans l’UE, afin de redonner au pays le contrôle de sa monnaie, de sa dette et de sa politique commerciale.

Toutefois, s’il est possible qu’elle arrive en tête au premier tour, il est en revanche peu probable que Mme Le Pen parvienne à récupérer un nombre de voix des candidats vaincus au premier tour suffisant pour l’emporter au deuxième tour face à M. Macron ou à un candidat des Républicains.

Toutefois, le risque semble encore trop important aux yeux d’un grand nombre d’investisseurs. Les rendements des obligations d’État françaises ont augmenté sensiblement face à ceux des Bunds allemands ces dernières semaines, traduisant un malaise croissant face au risque de victoire surprise de Mme Le Pen.

Le « spread » entre les rendements allemand et français à dix ans a récemment atteint un pic à 82 pb, contre 45 pb en début de l’année et 30 pb il y a un an seulement (1)

« Sans cette élection, nous serions plus près de 40 pb, mais les investisseurs étrangers restent réticents à l’idée d’acheter des actifs français tant qu’ils n’auront pas une vision plus claire sur le prochain gouvernement », analyse Geoffroy Lenoir.

L’issue la plus favorable du point de vue du marché obligataire serait une victoire de François Fillon, car elle réduirait l’incertitude politique. Le problème est que ce scénario semble peu probable.

Si M. Macron l’emportait, il reste à déterminer quels seraient ses soutiens au Parlement, et quels types de réformes il pourrait faire passer faute d’avoir un parti établi pour le soutenir. Pour Geoffroy Lenoir, une victoire de Marine Le Pen serait un « scénario catastrophe » pour les marchés obligataires, qui subiraient des pertes importantes liées à un report massif des investisseurs sur le Bund allemand, estime-t-il.

Geoffroy Lenoir avance que le « spread » OAT/Bund se creuserait presque immédiatement de près de 200 points de base, mais qu’il serait en réalité extrêmement difficile de déterminer le niveau de juste valorisation du marché obligataire pendant un certain temps.

Turbulences en Allemagne

En ce qui concerne l’Allemagne, les élections fédérales prévues en septembre devraient selon les projections actuelles se terminer par un duel entre l’Union démocratique chrétienne de l’actuelle chancelière Angela Merkel, et le parti d’opposition social-démocrate, en pleine résurgence. Les sondages actuels sont trop serrés pour se prononcer sur l’issue finale. Les commentateurs ont accordé beaucoup d’attention au parti AfD, crédité d’environ 10 % des intentions de vote, soit suffisamment pour obtenir des sièges au Parlement allemand. Toutefois, ce parti sera probablement ostracisé par les partis plus traditionnels et exclu des discussions sur la formation d’un gouvernement de coalition.

D’éventuelles élections en Italie pourraient générer une source d’incertitude politique supplémentaire, une hypothèse qui semble de plus en plus probable depuis que la Haute cour de ce pays a conçu un nouveau système électoral, privilégiant une forme de représentation proportionnelle approuvée par l’ex-Premier ministre Matteo Renzi. Les plus grands partis d’Italie, le Parti démocratique (PD) de M. Renzi et le Mouvement des 5 étoiles, parti contestataire radical, réclament tous deux un scrutin cet été, avec près d’un an d’avance.

Selon M. Lenoir, des élections anticipées entraîneraient probablement un écartement « sensible » du « spread » entre les obligations d’État italiennes et allemandes.

Toutefois, Stewart Robertson et Geoffroy Lenoir s’accordent pour dire que la nervosité des marchés obligataires est compréhensible, mais qu’il est peu probable de voir l’extrême-droite prendre le pouvoir en France, en Allemagne ou en Italie.

« Il y a un risque que les marchés surréagissent, même si les doutes sur les chances de survie de l’euro à long terme sont plus vives que jamais », estime Stewart Robertson.

Vers une nouvelle crise de l’euro ?

Beaucoup de commentateurs estiment que la seule manière de consolider l’euro de manière permanente consisterait pour les pays membres à former une union budgétaire, impliquant un transfert d’argent des pays plus riches vers les pays plus pauvres. Toutefois, Stewart Robertson estime que l’accord pour un tel projet reste hors de portée. « L’histoire suggère qu’il faudra attendre d’être au bord du précipice avant de faire quoi que ce soit », suggère-t-il. La montée du nationalisme partout dans la zone euro n’est pas non plus favorable à une telle issue. Nonobstant les résultats des élections de l’an dernier, il est peu probable que cette poussée populiste s’apaise rapidement.

Il y a cinq ans, M. Draghi est parvenu à tenir tête aux marchés financiers avec sa formule « tout ce qui sera nécessaire », brandie comme un défi de parier contre la banque. Il a pu ainsi faire gagner aux politiques le temps dont ils avaient tant besoin pour remettre l’économie de la zone euro sur des bases plus solides. Toutefois, il a également précisé peu après qu’il y a des limites à ce que la BCE peut accomplir seule. Pour créer les conditions fondamentales permettant de résorber les primes de risque, les milieux politiques devraient poursuivre « la consolidation budgétaire, les réformes structurelles et la construction des institutions européennes avec une grande détermination », a indiqué M. Draghi.

Aujourd’hui, les politiques sont toujours bien en peine de mettre en œuvre suffisamment rapidement les remèdes auxquels il pensait, tandis que les marchés obligataires semblent de nouveau d’humeur à remettre en doute l’affirmation du président de la BCE selon laquelle l’euro serait « irréversible ». Beaucoup de choses dépendront des développements de la situation politique dans les mois à venir.

Geoffroy Lenoir , Stewart Robertson , Mars 2017

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