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Perspectives de défaut des obligations d’entreprise à haut rendement en 2014

Selon nos outils de prévision économétriques, les taux de défaut du haut rendement ne devraient pas s’orienter à la hausse en 2014. En fait, les facteurs top-down qui dictent les tendances des défauts en Europe signalent même des niveaux plus faibles que ceux de la fi n 2013.

Comme l’a été 2013, 2014 devrait être favorable au haut rendement en termes de taux de défaut. En effet, selon les statistiques Moody’s, les taux de défaut des obligations spéculatives à l’échelle mondiale sont restés stables au cours des quatre derniers trimestres, à 2,6 %. Les toutes dernières prévisions de l’agence de notation indiquent même des niveaux légèrement inférieurs, avec 2,3 % attendus aux États-Unis et 2,1 % en Europe d’ici la fi n 2014.

Nous n’anticipons pas non plus de hausse des taux de défaut du High Yield (HY ) en 2014, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, et les niveaux devraient plutôt rester relativement proches de ce qu’ils sont actuellement. C’est ce qui ressort de nos outils de prévision, et cela est confirmé par la majorité des indicateurs avancés bottom-up que nous prenons en considération. Étudions à présent les résultats de différentes approches, à commencer par les modèles macroéconomiques.

Outils de prévision macroéconomiques

Selon nos outils de prévision économétriques, les taux de défaut du haut rendement ne devraient pas s’orienter à la hausse en 2014. En fait, les facteurs top-down qui dictent les tendances des défauts en Europe signalent même des niveaux plus faibles que ceux de la fin 2013. Nos modèles macroéconomiques associent des facteurs top-down et bottom-up. Tout d’abord, on considère le pourcentage de banques qui durcissent leurs conditions de crédit aux entreprises, information publiée par la Fed et la BCE dans leurs enquêtes trimestrielles auprès des grands établissements financiers. Les « conditions de crédit » représentent un vaste ensemble de conditions applicables aux prêts accordés aux entreprises, comprenant notamment le coût du financement, les garanties ou le collatéral requis et le montant de la ligne de crédit octroyée. Ces chiffres constituent les moteurs les plus puissants de l’orientation des taux de défaut sur un an, car ils cristallisent efficacement les grandes tendances en termes de conditions financières et de volumes de crédit accordé par les banques aux entreprises de rang spéculatif. Nos modèles incluent aussi la croissance de la dette des entreprises et les indices PMI, indicateurs avancés respectifs des fondamentaux micro- et macroéconomiques. Enfin, on intègre un indicateur de marché ou bottom-up des taux de défaut futurs, qui correspond au pourcentage d’émissions HY classées comme en difficulté (distressed), ou dont le spread est supérieur ou égal à 1 000 pb. Ce facteur représente une anticipation de défaut implicite pour les investisseurs, et à ce titre, il a tendance à produire des conséquences auto-réalisatrices en termes de défauts futurs.

Il semble que les entreprises n’aient pas encore très envie de se réendetter

Le premier graphique confirme que le scénario le plus probable indiqué par nos projections fondées sur la régression est celui d’une tendance assez stable des taux de défaut du HY aux États-Unis. Cela s’explique en grande partie par des conditions de crédit bancaire favorables et par le faible ratio de titres en difficulté, malgré le fait qu’au final, la dette des entreprises est en hausse même si elle ne se trouve pas encore « en terrain dangereux ».

S’agissant des défauts sur le marché HY européen, étonnamment les régressions indiquent des niveaux encore plus faibles qu’aujourd’hui pour 2014. Cela est lié notamment à deux éléments, illustrés dans deux graphiques : conditions de crédit bancaire et ratios de titres en difficulté constituent des indicateurs avancés des taux de défaut à horizon d’environ quatre trimestres, or ces facteurs se sont tous deux améliorés l’an passé, impliquant donc une probabilité plus forte de baisse des défauts en 2014. Enfin, la reprise du PMI composite de la zone euro, repassé au-dessus de 50, devrait également avoir des effets favorables, car les tendances des taux de défaut n’en tiennent pas encore compte. Les outils statistiques parviennent à des conclusions similaires pour l’Europe : avec la sortie de récession, l’amélioration des conditions macroéconomiques devrait bénéficier aux perspectives du HY, dans un contexte d’apaisement des tensions financières et d’assouplissement des conditions de crédit bancaire. De plus, la désintermédiation et la recherche active de rendement sur les marchés ont conditionné un cercle vertueux composé d’une demande soutenue en obligations HY et du préfinancement consécutif, et dans des proportions extraordinaires, d’obligations et de prêts à court terme, permettant ainsi de faire descendre les ratios de titres en difficulté jusqu’à des plus bas historiques. On peut voir sur le troisième graphique que sur cent émissions d’obligations HY, deux seulement affichaient un spread supérieur ou égal à 1 000 pb par rapport aux Bunds en décembre dernier, soit beaucoup moins que les 12 % de décembre 2012 et que les 24 % de décembre 2011, au plus fort de la crise de la dette souveraine. Dans le même temps, il ne faut pas surestimer la portée de cette amélioration fulgurante, car elle est partiellement due à la quête de rendement des investisseurs et qu’elle n’est pas (encore) totalement en phase avec les indicateurs de crédit des entreprises, à savoir les ratios d’endettement et les tendances des cash-flows, deux critères qui demeurent assez médiocres dans la zone euro.

Facteurs bottom-up

Objectifs de financement et qualité du crédit des nouvelles émissions à haut rendement

En phase de croissance macroéconomique mature ou tardive, les entreprises ont tendance à s’engager dans des stratégies agressives d’investissement et de réendettement. L’envolée des émissions nouvelles de dette destinées à financer la hausse des investissements plutôt qu’à refinancer simplement la dette arrivée à échéance se traduit généralement par une augmentation du taux de défaut. Au cours des deux derniers cycles macroéconomiques, juste avant l’éclatement des deux récessions, l’offre destinée à un refinancement pur était tombée à seulement 30 % du total des émissions.

Au contraire, pendant la crise post-Lehman, la majorité des nouvelles dettes émises visaient à nouveau à refinancer la dette existante. Les émissions destinées à des opérations de fusions/acquisitions, d’investissement et de distribution de dividendes se sont redressées par rapport aux points bas de 2009, mais elles restent néanmoins inférieures à 30 % du volume total, soit largement moins que les niveaux « à risque » supérieurs à 50 %. Selon nos enquêtes, près de la moitié des volumes record de nouvelle dette émise par les entreprises américaines ces trois dernières années a servi à refinancer de la dette existante : on parle ici de volumes considérables, à savoir 250 Mds $ d’obligations pour du refinancement obligataire, 275 Mds $ d’obligations pour du refinancement de prêts et 440 Mds $ de prêts pour du refinancement de prêts. Il est intéressant de constater qu’il s’agit du premier cycle de reprise dans lequel les émissions non destinées au refinancement représentent moins de la moitié du total, comme on peut le voir sur le graphique n° 4. Il semble que les entreprises n’aient pas encore très envie de se réendetter.

D’un autre côté, la proportion d’émissions de titres moins bien notés (B- et moins) sur l’offre totale de dette à haut rendement peut être considérée comme un signal indirect de l’aversion ou de la tolérance au risque des marchés. Une nouvelle fois, lors de phases de croissance mature ou tardive, la quête de rendement axée sur les valorisations les plus faibles contribue à absorber des volumes records d’émetteurs de qualité inférieure. Cette tendance contribue ainsi à la hausse des taux de défaut lorsqu’une bulle éclate en période de récession. Si l’on observe les dernières tendances sur le marché obligataire spéculatif aux États-Unis (voir graphique n°5), de tous les facteurs bottom-up, celui-ci paraît être le plus inquiétant pour l’heure et constitue probablement l’effet le moins rassurant d’une quête de rendement et de spread inhabituellement forte.

Risque de refinancement à court terme

Les preuves empiriques montrent que les volumes de dette arrivant à échéance peuvent aussi influencer les taux de défaut : la dette à échéance constitue rarement un facteur de défaut en soi, mais les entreprises peuvent connaître des difficultés si elles doivent refinancer d’importants volumes de dette à un moment où les investisseurs exigent soudain une plus forte prime de risque ou qu’ils développent un sentiment d’aversion pour le risque. En règle générale, des besoins de refinancement complexes risquent d’accentuer l’impact négatif que peut avoir un passage en récession économique sur les taux de défaut. Dans le Cross Asset de décembre, nous avons examiné dans le détail les perspectives des émetteurs de rang spéculatif en termes de risque de refinancement au cours des deux prochaines années. Les chiffres du marché primaire indiquent que si le rythme actuel des émissions se poursuit pendant trois à six mois, les entreprises américaines de rang spéculatif pourraient, en théorie, refinancer la totalité des remboursements de leurs obligations et prêts pour 2014 et 2015. Parallèlement, selon des statistiques publiées récemment par Moody’s, le « mur des échéances » en 2014 des LBO européens non notés s’est nettement réduit, passant de 30 Mds € il y a trois ans à 20 Mds € en août dernier. Nous souhaitons donc mettre en avant deux effets positifs des politiques monétaires accommodantes et de la quête de rendement : 1) d’un côté, ces deux facteurs ont entretenu le faible niveau des taux de défaut ces dernières années en dépit de la gravité de la récession et de la crise financière ; 2) de l’autre côté, ils entretiennent des perspectives favorables pour les défauts en 2014 également, grâce à ce qu’ils ont rendu possible sur le plan des refinancements.

Composition des marchés d’obligations spéculatives

Dans les numéros précédents, nous avons mis en évidence la prépondérance d’« anges déchus » sur le marché HY européen, notamment au niveau des émissions financières, qui représentent aujourd’hui une part importante du total de la dette disponible. Cette tendance s’est illustrée encore récemment avec la rétrogradation, en catégorie spéculative, d’un grand groupe de télécommunications italien. L’écart de représentation entre les grandes et les petites capitalisations fait une différence importante dans les périodes difficiles, mais aussi dans les périodes plus fastes, comme aujourd’hui. Sur le marché HY américain, par exemple, la phase actuelle est plus défavorable aux petites sociétés : cela ne fait pas de doute si l’on observe les taux de défaut par taille d’entreprise ou par volume de dette en défaut, au lieu d’utiliser l’indicateur habituel basé sur le nombre d’émetteurs. Cet écart entre les grandes et les petites sociétés dans des phases comme aujourd’hui se confirme dans les graphiques. La capitalisation moyenne des émetteurs spéculatifs non financiers est assez proche de la capitalisation moyenne des émetteurs BBB, et elle n’est pas beaucoup plus exposée au cycle économique. Par conséquent, la composition du marché devrait constituer un autre facteur participant à la compression des taux de défaut en zone euro, malgré une fragmentation persistante et des tendances défavorables en termes de crédit.

Taux de défaut implicites actuels au sein des spreads

Nos outils calculent les taux de défaut implicites dans les valorisations du marché, et les résultats indiquent ceci : les spreads du haut rendement semblent relativement justifiés par rapport aux taux de défaut actuels et anticipés. Étudions les chiffres plus en détail : d’abord, nous avons calculé l’excès de spread des obligations HY par rapport aux pertes réelles liées à des défauts durant l’année suivante, à partir de données historiques étendues sur le marché HY américain. Comme on pouvait le deviner, à l’exception de périodes de crise très limitées, les spreads exigés par le marché couvraient généralement les pertes qui ont suivi. La moyenne à long terme de cette prime payée par le passé pourrait constituer une sorte de prime additionnelle ne couvrant pas le risque de défaut « pur ». Donc en soustrayant des spreads globaux cette prime moyenne à long terme (versée par les obligations HY pour les pertes liées à des défauts véritablement subis durant l’année suivante), on obtient un taux de défaut implicite très proche des valeurs actuelles. Le résultat est compris entre 2,8 % et 3,5 % selon le ratio de recouvrement pris en compte, ce qui est proche des taux de défaut actuels aux États-Unis (2,2 %) et en Europe (3,3 %). Il est alors possible de dire que les spreads s’établissent à une « juste valeur » cet égard, mais qu’en même temps, ils ne sont pas suffisants pour couvrir un scénario de détérioration des conditions macro, comme ils le faisaient il y a quelques trimestres. Les taux de recouvrement demeurent proches de niveaux relativement élevés sur le plan historique, dans la mesure où ils ont tendance à afficher une corrélation inversée avec les taux de défaut. Toutefois, il nous faut considérer qu’outre le niveau des taux de défaut, la nature des secteurs les plus durement touchés par la hausse des défauts pourrait jouer un rôle important dans la définition du niveau moyen des taux de recouvrement, comme pendant la bulle des télécommunications.

Les risques entourant les taux de défaut des entreprises paraissent désormais relativement modestes

Risques et conclusions

Contrairement aux années précédentes, les risques en 2014 semblent provenir plus d’une croissance trop forte que d’un basculement brutal en récession : c’est pourquoi, dans ce domaine, les risques entourant les taux de défaut des entreprises paraissent relativement modestes, car ils ont tendance à évoluer fortement en fonction du cycle économique. Dans le même temps, il nous faut considérer qu’une accélération de l’économie trop forte et inattendue pourrait donner lieu à des révisions haussières rapides des anticipations du marché quant aux rendements obligataires et aux taux, ce qui entraînerait une plus grande volatilité des obligations et inciterait potentiellement les investisseurs à préférer les actions aux obligations HY. Cela pourrait alors causer un durcissement des conditions de marché pour le financement des entreprises, avec à la clé une hausse du ratio de titres en difficulté. Toutefois, dans ce scénario, les risques paraissent quand même assez limités en raison des faibles besoins de refinancement, que nous avons déjà mentionnés, et grâce à l’amélioration des volumes de cash-fl ows due à la reprise économique. En Europe, la présence de nombreux anges déchus sur le marché HY devrait aussi constituer un facteur favorable en cas de détérioration des conditions économiques ou financières. Pour conclure, nous sommes donc relativement à l’aise avec notre scénario de tendances stables au niveau des taux de défaut, et ce même si la croissance devait accélérer plus vite que prévu. Ces prévisions sont valables au moins pour 2014, mais pour 2015, ce pourrait être une autre histoire.

Sergio Bertoncini , Février 2014

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