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Impact des influences collectives sur les prévisions et décisions d’investissement

La valorisation des actifs financiers par les analystes financiers et la prise de décision des gérants de fonds reposent sur le paradigme de la rationalité économique. Les modèles théoriques et les outils utilisés permettent d’apprécier le « juste » prix des actifs financiers.

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Toutefois, force est de constater les incertitudes et les instabilités qui caractérisent le marché financier depuis quelques années, provoquant ainsi des volatilités extrêmes et un processus de contagion des croyances et des opinions.

La théorie financière néo-classique appuie ses prédictions sur la rationalité parfaite des acteurs du marché. Ces derniers intègrent toutes les nouvelles informations à leurs croyances préalables selon la règle des probabilités conditionnelles de Bayes [1]. Les individus ont donc une capacité objective à évaluer le contexte décisionnel conformément à la maximisation des préférences en accord avec la théorie de l’utilité de Savage (1954) [2]. Rappelons que la condition d’efficience est déduite d’un programme de maximisation de l’utilité d’un agent. La représentation concrète du comportement rationnel est l’homo oeconomicus, c’est-à-dire un individu rationnel dont les comportements visent l’efficacité et la satisfaction en fonction des ressources et des contraintes données.

Cependant dans les faits, les fondements de l’approche de la théorie classique sont contredits, en ce qu’ils ne reflètent pas véritablement la réalité. Le phénomène des anomalies (écart par rapport à une norme) et les biais comportementaux atténuent encore davantage la crédibilité des préceptes de rationalité axiomatique et l’hypothèse de l’efficience. La compréhension et la pertinence des modélisations théoriques implique de se pencher sur la perception et les motivations réelles des praticiens. Cela permettrait de rendre compte des réactions et des comportements de ces derniers sur un marché financier dynamique, composé d’individus et d’enjeux différents.

Les analystes et gérants de fonds cherchent à anticiper les réactions du marché et donc les anticipations qui fondent ce marché, ne remettant ainsi pas en cause le caractère rationnel de leur démarche (logique dite autoréférentielle).
Abdelouahid Assaïdi

En effet dès 1936, Keynes [3] fait remarquer que la rationalité économique dans sa dimension objectiviste, semble en inadéquation avec le fonctionnement du marché boursier. Ce dernier, n’est certainement pas un lieu fréquenté par un seul individu en possession de tous les éléments nécessaires pour maximiser son utilité et satisfaire pleinement ses besoins, mais à l’évidence le lieu où se rencontrent une multitude d’acteurs aux préoccupations et objectifs divergents.
De ce fait, la prise de décision d’investissement du gérant de fonds et les prévisions des analystes financiers, ne dépendent pas uniquement des variables exogènes issues de l’économie réelle, mais également et dans une forte mesure des variables endogènes produites par ce même marché. Ils cherchent à anticiper les réactions du marché et donc les anticipations qui fondent ce marché, ne remettant ainsi pas en cause le caractère rationnel de leur démarche (logique dite autoréférentielle).

Notre étude exploratoire menée sur le marché financier parisien auprès d’analystes financiers et de gérants de fonds, montre en effet la prépondérance des processus mimétiques et autoréférentiels (Assaïdi, 2009) [4]. La diversité des acteurs sur le marché financier implique logiquement une interaction entre eux et les influences collectives sont telles, que les prises de décisions ne relèvent pas du seul sort individuel mais dépendent fortement de l’entourage donc des autres opérateurs.

Les analystes financiers et les gérants de fonds, travaillent sous l’autorité du marché en interaction avec de multiples autres groupes d’individus auxquels ils sont confrontés quotidiennement dans leur prévision et/ou décision d’investissement. Selon ce constat, il convient de souligner que dans cet espace qu’est le marché financier, il n’est pas uniquement question de transactions menées individuellement, mais un espace où existent des opinions des croyances et des savoirs collectifs qui forment le consensus. Autrement dit, une norme accessible à tout analyste et gérant instantanément qui y prêtent une attention toute particulière.

Cette norme fournit en effet un point d’ancrage commode qui polarise les croyances et influence les opinions des praticiens. Ne pas s’y conformer, c’est risquer de ne pas bénéficier certes des gains potentiels du marché, mais aussi de devoir en rendre compte à la hiérarchie et surtout à la clientèle qui n’apprécie pas forcément les écarts par rapport à la norme.
De toute évidence, les influences normatives et informationnelles ne signifient pas copier aveuglément une opinion majoritaire à un moment donné, mais au contraire agir en fonction de l’environnement dans lequel les praticiens opèrent.

L’étude de terrain montre également qu’en situation d’incertitude, les acteurs du marché ne sont pas en capacité de donner une valeur objective, « juste » à l’actif évalué. La raison avancée est que la diversité des opinions sur le marché financier fait état de relations stratégiques entre les acteurs. Chacun essaye alors non pas de déterminer quelle est la valeur fondamentale, mais plutôt de déterminer ce que l’opinion du marché pense de la vraie valeur. La valeur fondamentale émerge alors des interactions entre les acteurs. Ce qui signifie que les analystes et gérants de fonds cherchent non seulement à suivre l’opinion collective mais également à anticiper la manière avec laquelle les autres prévoient l’avenir moyen du marché. Les croyances des acteurs, bien que parfois sans rapport avec les fondamentaux, peuvent néanmoins se réaliser sur le marché dès lors qu’elles sont partagées par l’ensemble des intervenants.

Les influences normatives et informationnelles ne signifient pas copier aveuglément une opinion majoritaire à un moment donné, mais au contraire agir en fonction de l’environnement dans lequel les praticiens opèrent
Abdelouahid Assaïdi

Contrairement aux modélisations purement statistiques, la dimension qualitative de cette étude permet de mieux rendre compte de la réalité du terrain et d’apprécier de plus près le processus décisionnel des analystes financiers et des gérants de fonds. La dynamique interactionnelle fait converger les opinions initialement divergentes vers un point focal représentant la valeur de marché. Dans le questionnement, les analystes et les gérants choisissent de délaisser leur information fondamentale de manière systématique afin de suivre les opinions des autres.

Cependant, certains d’entre eux peuvent ne pas partager les mêmes croyances que le reste de leurs collègues, et, à un moment donné, prendre une décision qui va à l’encontre des décisions majoritaires. Ce sont des contrariants. D’ailleurs, beaucoup d’analystes et de gérants rencontrés lors de notre étude, se plaisent à dire qu’ils n’hésitent pas à aller à l’encontre de l’opinion majoritaire lorsque leur opinion est justifiée par les fondamentaux pour se défendre de tout comportement mimétique. Ils ont ainsi la capacité de renverser les croyances, parce qu’ils ont su réaliser des performances originales, ou bénéficier d’un bon classement. Ce privilège ne concerne que quelques-uns : les leaders d’opinion. Ce sont ces derniers, qui souvent fédèrent les actions des autres, orientent le consensus et les opinions et de surcroît sont à l’origine de nouvelles normes ou conventions. Ce dynamisme des opinions collectives signifie que les conventions ne sont pas immuables. Elles se construisent et se déconstruisent en fonction des interactions et des croyances à cette convention.

Les tremblements des places financières mondiales provoqués par une situation économique et financière inquiétante et vulnérable est propice à un pessimisme consensuel, lequel pouvant alimenter et provoquer une crise systémique.

Abdelouahid Assaïdi , Novembre 2011

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Notes

[1] Méthode de calcul des probabilités a posteriori fondée sur les probabilités a priori (règle de Bayes ou méthode des probabilités inverses) qui s’énonce ainsi : soit a un événement certain, et les (bi) des évènements mutuellement exclusifs formant une liste complète des états du monde possible, alors on sait que P (bi/a) =[p (a/bi)p (bi)] ?p (a/bi)p(bi)]. Cette formule permet de relier les probabilités a priori aux probabilités fondées sur des informations connues.

[2] Savage L.J., (1954), « The Foundation of Statistics », Norfolk Wiley.

[3] Keynes (1936), « Théorie Générale de l’emploi et de l’Intérêt », Editions Payot

[4] Assaïdi A., (2009), « La formation des recommandations des analystes financiers et la prise de décision des gérants de portefeuille : le rôle de la rationalité mimétique », thèse de doctorat soutenue au CNAM.

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