Commercialisation des instruments financiers complexes

Depuis octobre 2010 [1], la distribution de ces produits complexes est soumise à un régime juridique spécifique. Retour sur la position de l’AMF et l’ACP

Les instruments financiers dits complexes regroupent une typologie de titres bien précise :

• les OPCVM de droit français à formule visés à l’article R.214-27 du code monétaire et financier)
• les OPCVM structurés de droit étranger équivalent issu de l’article 36 du Règlement (UE) n° 583/2010 de la Commission du 1er juillet 2010 mettant en œuvre la directive 2009/65/CE
• les titres de créance complexes et aux titres financiers équivalents émis sur le fondement de droits étrangers, à l’exclusion des warrants simples, ces derniers étant définis comme des produits structurés sous forme de bons d’option cotés (en continu) sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, donnant le droit (et non l’obligation) d’acheter ou de vendre un actif choisi, à un prix fixé dès l’émission et pendant une période déterminée.

Je rappellerai à titre préliminaire que l’AMF est dotée d’un pouvoir normatif et intervient ici par le biais d’une Position dont la portée vise à communiquer sa doctrine. Ce type de texte n’a qu’une vocation explicative. De la même façon, le pouvoir normatif de l’ACP [2] a pour objet de veiller au respect, par les personnes soumises à son contrôle, des codes de conduite approuvés à la demande d’une association professionnelle, ainsi que des bonnes pratiques de leur profession qu’elle constate ou recommande, mais aussi à l’adéquation des moyens et procédures qu’elles mettent en œuvre à cet effet.

On notera que l’AMF intervient ici dans le cadre d’une Position au caractère moins contraignant que la recommandation de l’ACP. En effet, celle-ci ne se situe pas pleinement dans une dynamique explicative de normes réglementaires et législatives existantes, et ajoute des obligations par rapport au droit positif en la matière. La position AMF ajoute quant à elle des présomptions de mis-selling n’ayant aucune base légale ou réglementaire. On peut donc s’interroger sur l’impact de telles dispositions devant un juge.

Néanmoins, nous invitons bien entendu les acteurs soumis au contrôle d’une ou de ces deux autorités à suivre ces recommandations dont nous vous proposons une lecture en deux actes :
- rappel sur la notion d’acte de commercialisation
- les obligations en matières de commercialisation de ces instruments

I L’acte de commercialisation et obligations de droit commun des producteurs distributeurs

L’acte de commercialisation est défini dans la décision précitée « comme la présentation d’un instrument financier par différentes voies (publicité, démarchage, placement, conseil…) par un prestataire de services d’investissement, un conseiller en investissements financiers ou un démarcheur bancaire ou financier en vue d’inciter un client à le souscrire ou l’acheter. »

Cette définition exclut du périmètre d’application de la décision de l’AMF toute souscription :

- répondant à une demande d’un client, ne faisant pas suite à une sollicitation, portant sur un instrument financier précisément désigné, lorsque cela est permis par la législation et la réglementation en vigueur ;
- conclue dans le cadre d’un contrat de gestion de portefeuille pour le compte de tiers, le service étant alors fourni au prestataire de services d’investissement, pour autant que de tels instruments financiers soient autorisés dans le cadre de la gestion du portefeuille d’un client non professionnel. » Il est cependant rappelé, qu’un mandat d’arbitrage portant sur un contrat d’assurance vie ou de capitalisation ne peut pas être considéré comme un mandat de gestion de portefeuille. Il serait suivant l’interprétation de l’ACP inclut dans la recommandation dès lors qu’il porterait sur un instrument financier complexe ;
- conclue par un client professionnel ou une contrepartie [3].

L’acte de commercialisation peut être constitué de différents services d’investissement réglementés. L’Autorité des Marchés financiers cite les services suivants :
- le service de réception transmission d’ordres nécessitant un test du caractère approprié du produit complexe à la connaissance et à l’expérience du souscripteur non professionnel ou ;
- le conseil en investissement financier impliquant un test du caractère adapté de l’investissement proposé au regard de la connaissance, de l’expérience, de la situation financière et des objectifs d’investissement du client non professionnel.

Le directive Mif, le code monétaire et financier et le règlement général de l’AMF sont les principaux fondements des obligations des Producteurs Distributeurs d’instruments financiers repris dans la Position AMF et rappelés ci-après :
- la primauté de l’intérêt du client,
- sa catégorisation, son information,
- l’évaluation du caractère approprié du produit et enfin,
- le contrôle des documents commerciaux par l’AMF.

A l’inverse l’acte de commercialisation n’est pas défini par l’ACP. On peut le regretter. Que vise t’on ? La commercialisation du contrat d’assurance vie et de capitalisation en unités de compte, l’arbitrage, la souscription d’unités de compte ? Si l’on s’en réfère à l’article L 132-27 -1 du code des assurances cité dans la recommandation, on se situe en amont de la conclusion du contrat d’assurance. L’organisme ou l’intermédiaire en assurance a une obligation de conseil vis-à-vis du client souscripteur/adhérent. Cette obligation de conseil est rapprochée de l’obligation de l’organisme d’assurance de sélectionner des valeurs mobilières ou actifs offrant une protection suffisante de l’épargne investie (L 131-1 du code des assurances) pour imposer une nouvelle obligation d’information pré contractuelle portant sur les caractéristiques de l’unité de compte.

Il est rappelé que ces obligations s’appliquent à l’ensemble de la chaine de distribution des instruments financiers complexes. Il appartient au producteur et à l’ensemble des personnes en charge de la commercialisation d’un produit complexe de se former, afin d’être à même de conseiller le client final. Toute personne intervenant dans la chaine de distribution doit pouvoir comprendre la structure de frais et les marges appliquées à tout produit complexe, l’analyse des caractéristiques du produit, le ciblage des souscripteurs potentiels au vu de ses avantages et inconvénients, et le conseil en vu de favoriser un investissement direct dans le sous jacent si le produit complexe n’apporte pas d’avantage particulier.

II les obligations en matière de commercialisation d’instruments financiers complexes

A partir de ces principes généraux, les deux autorités analysent des cas de « mis-selling » (commercialisation inappropriée) propres aux produits complexes pour mettre en exergue :
- des nouvelles obligations d’information à la charge des organismes ou intermédiaires d’assurance et
- des cas de présomption de mis selling à la charge des prestataires de services d’investissements ou intermédiaires sur du secteur financier.

Ces cas de mis-selling reposent sur quatre critères :

- Mauvaise présentation du profil rendement /risque dans la documentation source de mauvaise compréhension (critère 1) sauf lorsque la performance du produit est sujette à des scénarios extrêmes faisant l’objet d’une présentation appropriée.
- Caractère inhabituel du produit complexe pour le client en raison du ou des sous-jacents non observables sur les marchés, non publics (critère 2).
- Profil de rendement /risque complexe comprenant plusieurs conditions sur au moins deux classes d’actifs (critère 3)
- Reconstitution du pari que le client prend et compréhension des mécanismes aboutissant au calcul du gain et de la perte(critère 4)

Présomption de Mis selling des producteurs distributeurs de produits complexes

La position de l’Autorité des marchés financiers construit sa présomption de « mis-selling » autour du raisonnement suivant. Le produit complexe :
- offre à l’échéance une garantie en capital inférieure à 90% du montant investi par le client non professionnel ET ;
- présente au moins un des critères ci-dessus.
Ces éléments sont donc cumulatifs.

La présomption de mis-selling sur les produits précités implique :
(i) la rédaction d’avertissement dans la documentation commerciale des produits complexes offerts au public. Pour tous les produits offerts au public, admis aux négociations sur un marché réglementé ou les OPCVM à formule commercialisés en France, la documentation commerciale à caractère promotionnel devra être assortie des avertissements repris à l’annexe 1 de la décision. Ces avertissements n’ont pas à figurer en cas de placement privé de titres complexes ;
(ii) une présomption de mis selling. Pour tous les produits structurés précités dont la valeur nominale ou le montant initial de souscription est inférieur à 50 000 euros (ou la contre valeur en devises), il existe une présomption de mis-selling dès lors que la commercialisation réalisée par le Prestataire de Services d’investissement, le Conseiller en investissement financier, éventuellement dans le cadre du démarchage, n’intervient pas dans un cas de diversification du portefeuille du client.

Si les produits complexes précités ont une valeur nominale ou un montant initial de souscription supérieur à 50 000 euros (ou la contre valeur en devises) et qu’il existe une diversification suffisante ou que le produit complexe ne présente pas les caractéristiques figurant dans l’encadré ci-dessus, la présomption de mis-selling est levée sous réserve que le distributeur ait respecté ses obligations d’information, mise en garde et/ou conseil vis-à-vis du client non professionnel.

Obligation d’information renforcée des organismes d’assurance et intermédiaires proposant des contrats d’assurance en unités de compte constituées de produits complexes

Les obligations d’information imposées à l’organisme d’assurance et à l’intermédiaire quel que soit le produit complexe envisagé sont les suivantes :

• Description de manière compréhensible du produit dans le document formalisant le conseil ( L 132-27 1 du code des assurances, L 223-5-3 du code la mutualité) ;
• Constituer la preuve permettant de justifier les diligences réalisées auprès de l’ACP ainsi que la bonne compréhension du produit par le souscripteur/adhérent
• Une information claire, exacte et non trompeuse doit être donnée au sujet des garanties offertes par le contrat en cas de sortie anticipée, décès ou rachat total ou partiel avant le terme.
• Des moyens et procédures doivent être mis en place et faire l’objet de contrôle interne permettant de maîtriser les risques de mis selling.

Le contenu de l’information varie en fonction des typologies de produits complexes constitua nt les UC :

- Produits complexes dont la performance est sensible à des scenarios extrêmes (CRITERE 1 de l’AMF) : présentation du risque maximal, présenter les unités de comptes constituées de ces instruments comme des placements risques, lister les situations dans lesquelles le risque maximal peut se produire, indiquer clairement les risques sur le capital investi en cas de rachat avant le terme, décès ou au terme.
- Instruments financiers utilisant des sous-jacents difficilement appréhendables ou non observables individuellement sur les marchés (CRITERE 2 AMF) : exposer de manière compréhensible les sous-jacents utilisés et les moyens de suivre leur évolution.
- Produits complexes ayant un rendement lié à la réalisation concomitante d’au moins deux conditions sur différentes classes d’actifs (CRITERE 3 AMF) : exposer de manière compréhensible le profil de rendement/risque et les moyens permettant à l’adhérent/souscripteur d’anticiper son évolution.
- Produits complexes ayant plus de trois mécanismes différents dans la formule de calcul du gain ou de la perte (CRITERE 4 AMF) : exposer de manière compréhensible les mécanismes compris dans la formule permettant suivant les scénarios d’en déduire la perte ou le gain.

CONCLUSION

Pour les organismes et intermédiaires d’assurance
Toutes ces obligations d’information et d’organisation interne des organismes et intermédiaires d’assurance impliquent de reporter sur ces acteurs les procédures et systèmes de contrôles existant déjà chez les prestataires de services d’investissements et intermédiaires issus de la directive MIF. La recommandation de l’ACP implique aussi une traçabilité des diligences en matières de conseil et d’information ainsi qu’une preuve de la bonne compréhension du produit par le client. Cette dernière obligation reste encore à mettre en pratique et l’on devra s’inspirer de ce qui est déjà fait en matière de conseil par les organismes et intermédiaires en assurance.

Pour les PSI et intermédiaire du secteur financier
Concernant les prestataires de services d’investissement et les intermédiaires du secteur financier, il conviendra de veiller à exclure la commercialisation de certains produits complexes auprès de clients non professionnels (au-deçà de 50 000 euros de souscription).Pour ce faire, les comités nouveaux produits des producteurs (sociétés de gestion ou émetteurs) devront veiller à insérer les avertissements et le profilage adapté à la stratégie et au profil/rendement risque envisagé.
Les distributeurs quant à eux devront filtrer en amont les produits ouverts à leurs clients non professionnels.
Pour les autres produits, le distributeur devra réaliser un certain nombre de diligences pour contrôler le producteur, en dépit parfois d’une grande différence d’expertise qui n’est pas envisagée dans la position de l’AMF. Les distributeurs et producteurs sont tous considérés comme des professionnels sans distinction. Il est donc recommandé aux distributeurs ne disposant des expertises en interne pour juger de la structure de frais, des caractéristiques du produit, de ses avantages/inconvénients de se doter de l’appuie d’un intervenant externe indépendant du producteur lui permettant d’envisager les risques financiers et juridiques de ces produits complexes.

Laetitia de Pellegars , Décembre 2010

Notes

[1] Position de l’Autorité des Marchés financiers 2010-05 du 15 octobre 2010 sur la commercialisation de ces instruments auprès de non professionnels et à la recommandation de l’Autorité de Contrôle Prudentiel portant sur la commercialisation des contrats d’assurance vie en unités de comptes constitués d’instruments financiers complexes du 15 octobre 2010

[2] résultant de l’article L. 612-1 II 3° du Code monétaire et financier

[3] Attention ce point ne s’applique qu’aux produits complexes souscrits en direct et non aux unités de compte constituées de produits complexes.

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