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Chine : des réformes budgétaires pour assainir la dette des collectivités locales

La Chine a annoncé des réformes budgétaires radicales visant à réduire l’endettement des collectivités locales et à rendre les finances publiques plus saines. Ces mesures, qui font partie d’un plan d’ensemble, devraient contribuer au rééquilibrage de l’économie, mais la croissance à court terme en sera affectée...

L’un des principaux problèmes de l’économie chinoise est l’augmentation rapide de l’endettement depuis la crise financière mondiale. L’envolée de la dette des collectivités locales a fait craindre une crise budgétaire. Selon un rapport du National Audit Office, elle a progressé de près de 70% en trois ans, et atteint 17 900 Mds CNY (2 900 Mds US$, Graphe ci-dessous). La dette publique totale représentait 56% du PIB à la mi-2013, la Chine étant un des pays où l’effet de levier des comptes publics est parmi les plus faibles. L’essentiel du problème réside dans la progression rapide de la dette, sa structure de financement et les conséquences potentielles d’une baisse de la dette sur l’ensemble de l’économie.

Les autorités chinoises ont pris des mesures fermes pour désamorcer cette bombe à retardement, en révisant la loi sur le budget devenue obsolète.

Appliquée correctement, cette réforme permettra de réduire l’endettement, et rendra les finances de collectivités locales plus soutenables.

Les causes de l’escalade de la dette

En vertu de la loi budgétaire, les collectivités locales ont peu de possibilités d’accroître leur bilan. La réforme de 1994 accordait au gouvernement central un contrôle prépondérant sur les comptes publics et enlevait aux collectivités locales la possibilité de : 1) être en déficit, 2) emprunter sur les marchés et 3) accorder des garanties de crédit à ses institutions affiliées.

En réalité, ces règles n’ont pas été vraiment appliquées. La ferme volonté des autorités locales d’assurer la croissance des régions, facteur clé de la réussite de leur carrière, a conduit à une hausse significative de l’investissement en infrastructures, financé essentiellement par le crédit. Pour contourner la loi, les collectivités locales ont utilisé des instruments financiers hors bilan appelés Véhicules Financiers de Gouvernement Local, (LGFV), et ont coopéré avec des entreprises d’État (SOE) pour obtenir indirectement des crédits auprès des banques, des banques parallèles et des marchés de capitaux.

Une structure de financement à risque

Outre la vitesse d’accumulation de la dette des collectivités locales, les modalités de financement souffrent de défauts structurels pour l’économie et le système financier. Tout d’abord, plus de la moitié des emprunts des collectivités locales sont des prêts bancaires hypothéqués sur des terres. Ceci crée un risque de contagion entre marché immobilier, dette des collectivités locales et créances douteuses des banques. Cette année déjà, la correction du marché immobilier a provoqué un ralentissement des ventes de terrains et une augmentation de créances bancaires douteuses. Deuxièmement, l’emprunt par les LGFV auprès d’institutions financières comme les banques parallèles assure un financement à court terme assorti de taux d’intérêt élevés. Il en découle une inadéquation en matière de maturité et de coût, les investissements publics étant généralement à long terme, et à faible rentabilité. Troisièmement, l’emprunt par les LGFV est considéré comme bénéficiant d’une garantie implicite des gouvernements, le rendant moins sensible aux prix que l’emprunt par le secteur privé, évinçant ce dernier du marché du crédit, ce qui a augmenté le coût de financement de l’économie. Quatrièmement, la croissance exceptionnelle de l’investissement, stimulé par les collectivités locales, a exacerbé les déséquilibres économiques et a entravé la transition de l’investissement vers la consommation. Finalement, le manque de surveillance des emprunts des collectivités et de leurs dépenses a conduit à une mauvaise allocation des ressources.

La dette élevée des collectivités locales fait donc non seulement peser un risque budgétaire, mais menace aussi le rééquilibrage de l’économie, en raison de modes de financement intenables.

Pour surmonter cela, les autorités chinoises ont annoncé des changements radicaux de la loi budgétaire, visant à établir un cadre global pour réduire la bulle de la dette et améliorer les finances publiques.

Des réformes pour réduire la dette

La base de la réforme budgétaire est une séparation nette entre les responsabilités du gouvernement et celles du marché concernant 1) la réduction du stock de dette existant et 2) le financement des emprunts futurs.

Dans une démarche en deux étapes pour réduire la dette actuelle, le gouvernement central a demandé aux collectivités locales d’évaluer l’encours de leur dette au début de 2015. Aucun emprunt supplémentaire ne sera autorisé, et un processus concerté de désendettement sera mis en oeuvre. D’abord, la dette sera classée en trois catégories : 1) la dette des collectivités locales, à rembourser obligatoirement, 2) les emprunts des LGFV qui n’engagent pas les autorités locales et 3) les créances douteuses.

Une fois cela établi, le processus d’allègement de la dette débutera. Pour la première catégorie, les collectivités locales peuvent émettre des obligations municipales avec l’autorisation du Conseil des affaires de l’État afin de financer la dette existante. Ce swap de dette permettra de réduire les coûts de financement et de rapprocher la duration de l’horizon de financement [1]. En outre, les collectivités locales pourront rembourser leur dette par la vente d’actifs et de participations détenues dans les SOE [2].

Les emprunts des LGFV, dont les gouvernements ne sont pas responsables, seront payés par les emprunteurs selon les règles du marché.

Les gouvernements peuvent proposer une aide concernant les procédures et les échéances, mais, en principe, ils ne renfloueront pas ces véhicules. Un défaut sur cette catégorie de dettes est tout à fait possible, ce qui conduira à éviter l’aléa moral. Enfin, pour les créances douteuses, les créanciers et les emprunteurs entameront un processus de restructuration, selon les pratiques de marché.

La réduction de la dette existante n’est que la première partie du processus. La nouvelle loi budgétaire établit également des règles claires pour les emprunts futurs des collectivités locales, clarifiant les règles entre financement par des entités locales et financement par le marché pour les projets publics :

  • Les projets de travaux publics qui n’engendrent pas de flux de trésorerie seront financés par le budget du gouvernement ou par émission obligataire.
  • Les projets générant un peu de trésorerie, mais pas suffisamment pour couvrir entièrement les dépenses, peuvent être financés par des obligations spécifiques.
  • Pour certains travaux d’infrastructure (services publics par exemple) qui peuvent être rentables, le partenariat privé-public (PPP) doit être encouragé.
  • Pour les projets purement commerciaux, comme l’immobilier, les gouvernements devraient laisser le marché les financer entièrement.

Implications pour l’économie et les marchés

Conformément à d’autres changements structurels intervenus depuis le Troisième Plénum, la réforme budgétaire consiste à réduire la participation du gouvernement dans l’économie et à rendre au marché sa capacité de décider de l’allocation des ressources. En retirant aux gouvernements la capacité de se financer par le marché, ces réformes peuvent réduire le fardeau de la dette et assainir les budgets. Une séparation nette entre les responsabilités des gouvernements (central et locaux), leurs filiales (SOE et LGFV) et le secteur privé (banques, marché de capitaux) devrait améliorer la transparence des finances publiques et réduire l’aléa moral. Finalement, en renforçant le processus budgétaire, en fixant des normes comptables et en introduisant des notations de crédit pour les obligations municipales, les collectivités locales deviendront davantage responsables des dettes qu’elles contractent.

Ces changements budgétaires font, à notre avis, partie des réformes structurelles d’ensemble qui visent à rééquilibrer l’économie chinoise.

Le changement du financement des collectivités locales peut contribuer à diminuer le coût du financement global de l’économie et le risque de crise budgétaire. La conjonction d’une réduction de l’intervention publique, de la vente d’actifs pour rembourser la dette et un recours accru au PPP pour les projets publics peut aussi accélérer la réforme des SOE.

A court terme, le désendettement des collectivités locales fait courir le risque que l’investissement en infrastructures soit freiné et qu’une moindre incitation à la vente de terrains ne précipite le ralentissement de la construction de logements. Toutefois, un moindre investissement, en particulier dans l’immobilier, est nécessaire pour rééquilibrer l’économie vers la consommation. Pour les gouvernements, cela signifie une allocation plus importante de fonds dans les dépenses de santé, d’éducation et dans les pensions de retraite, et moins de dépenses dans les routes et les ponts. La réduction de la bulle de la dette serait aussi bénéfique pour les marchés financiers, car elle contribuerait à éliminer un des risques majeurs pour l’économie. Enfin, la création d’obligations municipales pourrait développer le marché obligataire chinois et élargir les opportunités pour les investisseurs.

Aidan Yao , Janvier 2015

Notes

[1] Une fois le marché créé, nous pensons que les obligations municipales s’échangeront avec un rendement légèrement supérieur aux obligations d’État (actuellement 3,5 %) et bien inférieur au coût de financement actuel des LGFV auprès des banques parallèles.

[2] Selon le Ministère des finances, les actifs des collectivités locales s’élevaient à 56 000 Mds CNY (9 200 Mds US$) à la fin de 2013.

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