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Casino Géant chez Société Générale

Le procès de Jérôme Kerviel nous a apporté chaque jour de nouvelles interrogations sur la responsabilité des pertes incompréhensibles d’un seul trader de la Société Générale. Qui est coupable ?

Cet article commente ma lecture du livre de Jérôme Kerviel : « L’engrenage, mémoires d’un trader », qui met enfin la lumière sur l’ambiance “casino” de bien des prop desks bancaires...

Comment devient on trader ?

Jérôme Kerviel explique avec beaucoup de simplicité son parcours assez banal universitaire qui l’a conduit d’études économiques à Quimper vers l’IUP de Nantes et le DESS de Finance à Lyon pour postuler en 2000 à la Société Générale et rentrer au service Middle Office au sein du prestigieux service DAI (Dérivés Actions et Indices).
Auparavant, son passage chez BNP Arbitrage où il se voit confier une mission de test de systèmes informatiques de récupération d’informations sur titres, le mettra sur la voie de la recherche de la martingale magique pour sa future activité de “spiel”.
Déjà se dessine le caractère de Kerviel : malin, opportuniste, social, travailleur, posant des questions, désireux d’apprendre et de comprendre. Cette fascination pour le trading le pousse à aller vers les traders, à les observer, à se fondre dans la salle de marché et à se rendre indispensable.

Quel moteur ?

Kerviel était celui qui restait le plus tard, dévoué et toujours disponible pour apprendre. Il n’a pas le profil flambant, plutôt réservé et à l’écart des autres.
Ce qui est intéressant c’est de découvrir sa fascination pour la prise de risque, cette adrénaline de marché, que j’ai aussi connue en travaillant pendant 12 ans dans des salles de marché. On ne vit plus que pour suivre les marchés, on aspire à être le premier à avoir l’information clé et on continue de suivre les cours dans ses rêves. Les rêves de Jérôme Kerviel ne sont pas des rêves d’argent, il gagne correctement sa vie et se débrouille très mal pour négocier ses bonus qui restent très faibles en proportion des gains réalisés... Sa motivation est de faire partie d’une élite dans le trading, d’être reconnu, demandé, honoré, consulté : il existe ! Les montants qu’il brasse deviennent des chiffres sur un papier sans aucune mesure avec la réalité économique.

De mauvaises pratiques

Dans beaucoup d’établissement, il n’y a pas de formation préalable. Le jeune assistant trader commence par avoir une fonction de middle office où il rentre les exécutions, pour progressivement prendre des initiatives en traitant les marchés. Jérôme Kerviel décrit des supérieurs (les N+1/2/3...) comme irresponsables, n’éduquant pas le jeune Kerviel à la mesure, au contrôle des risques pris. Ils ne lui apprennent pas comment « couper » ses positions à partir d’un certain seuil de perte. Il mentionne même que ses supérieurs sont au courant de ses écritures fictives, de ses « noisettes » ou gains cachés « sous le tapis », pratique commune et l’encouragent dans sa prise de risque.
Il n’y a pas de code déontologique, c’est la loi du gain avec des objectifs de résultats annuels de plus en plus importants. Comment ensuite blâmer ces jeunes loups avec « un taux de testostérone supérieur à la moyenne » comme le témoigne au procès, Catherine Lubochinsky, enseignante reconnue en finance ? Des poulains choisis pour leur capacité de se dévouer corps et âmes au trading, que l’on pousse, que l’on encourage à prendre des risques et que l’on remercie dès qu’il y a le moindre problème.

Le livre de Jérôme Kerviel a le mérite de nous faire comprendre cet engrenage, cette folie qui le prend et l’emmène vers la destruction. Il ressort un homme faible, manipulateur, roué rapidement au système, mais aussi naïf et seul.

Qui est responsable ?

Les observateurs, extérieurs à ce monde ne manquent pas de s’interroger : comment est ce possible ? Simplement parce qu’il s’agit d’une pratique interne non contrôlée et que la loi du profit règne dans ces salles de marché.
Le monde bancaire a développé des activités de salles de marché à but de profits maximum sur des produits sophistiqués (que bien des cadres ne comprennent pas) où le risque est une pratique courante. On s’éloigne alors de la réelle fonction de financement de l’économie.

Oui les dirigeants sont responsables ! tous, du N+1 à Daniel Bouton. Ils ne sont pas informés du niveau de risque que leurs équipes prennent et c’est grave ! N’importe quel gérant de hedge funds sait le risque de marché qu’il prend au jour le jour et surveille ses appels de marge, il s’agit de son argent et de ses investisseurs, non le capital d’une banque : l ‘évaluation de son risque c’est sa survie, car personne ne viendra le refinancer.

Que peut on apprendre ?

Ces pratiques continuent et le jeu des chaises musicales permet de remplacer les moins performants par de nouveaux jeunes loups. Pourquoi ne pas considérer un encadrement avec des règles de suivi des risques ? Pourquoi ne pas envisager des suivis psychologiques en amont efficaces, pointus, pour suivre l’évolution de ces traders, leurs angoisses destructives, leurs folies ponctuelles, leur équilibre de santé ?

Car le plus grand risque est le risque humain, le dérapage de la personne ! Aucun système informatique ne peut le mesurer ! Prendre soin des hommes c’est commencer à maîtriser ses risques.

Il y a encore bien du chemin à faire avant de vraiment changer les mentalités ! Le livre de Jérôme Kerviel devrait devenir un manuel d’apprentissage pour aider les jeunes à comprendre où l’engrenage peut les rattraper !

Sophie Van Straelen , Juin 2010

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